Infrastructures Industrielles en Côte d’Ivoire : Interview avec Youssouf Ouattara de l’AGEDI

Youssouf Ouattara évoque la situation des zones industrielles en Côte d’Ivoire et parle des différentes missions de l’AGEDI, l’Agence de Gestion et de Développement des Infrastructures Industrielles en Côte d’Ivoire.

Interview avec Youssouf Ouattara, Directeur Général de l’AGEDI (Agence de Gestion et de Développement des Infrastructures Industrielles en Côte d’Ivoire)

Youssouf Ouattara, Directeur Général de l’AGEDI

Comment évaluez-vous la situation des zones industrielles en Côte d’Ivoire ?

Depuis 2010, les zones industrielles ivoiriennes sont presque arrivées à saturation car il manque une stratégie globale de création de nouvelles zones. Au niveau du patrimoine existant, l’affectation des terrains aux opérateurs est désormais entravée par le manque de surfaces disponibles. Pour vous donner un ordre de grandeur, la plus grande zone est aujourd’hui celle de Yopougon avec une superficie de 645 ha. Celles de Koumassi et de Vridi s’étendent sur 120 ha chacune. Les zones de l’intérieur du pays sont aussi concernées. Ce problème engendre un phénomène de spéculation, la pression foncière est très élevée car chaque opérateur veut accéder à un espace. On se rend compte aussi que beaucoup d’opérateurs disposant déjà de terrains ne les ont pas correctement valorisé et ont pratiqué la sous-location que la réglementation interdit. Cette spéculation n’est pas favorable aux opérateurs candidats à l’investissement en Côte d’Ivoire, puisqu’ils sont parfois contraints d’acquérir des terrains à un prix exorbitant auprès d’un autre opérateur, alors que le terrain demeure la propriété de l’État. La spéculation se fait donc sur le dos de ce dernier. Il est alors devenu extrêmement important de créer de nouveaux espaces et d’accroître les gisements fonciers, mais aussi d’entreprendre des réformes solides pour assainir le secteur des zones industrielles.

De nombreux litiges ont résulté de cette situation.

De nouvelles procédures d’occupation des terrains industriels ont été définies par le gouvernement, et l’AGEDI est devenue dans ce cadre le guichet unique permettant d’accompagner les opérateurs dans leur installation et de leur offrir une sécurité sur le plan foncier.

La spéculation donne en effet lieu à des litiges opposant d’abord l’administration et l’opérateur qui pense pouvoir disposer de son terrain comme bon lui semble. Or les opérateurs confondent foncier d’habitation privée et foncier industriel. L’achat d’un terrain d’habitation entraîne une propriété pleine de celui-ci par les acquéreurs, qui peuvent alors le vendre ou le léguer à leurs ayants droit. En revanche, un terrain industriel est régi par un bail emphytéotique et reste toujours propriété de l’État. Si l’opérateur cesse ou change d’activité sans en informer l’administration ou sous-loue illégalement son terrain, l’État engage des actions pour le récupérer. Les opérateurs se tournent alors vers la justice pour essayer de faire annuler l’acte de retrait du terrain. Mais d’autres litiges opposent aussi les opérateurs entre eux. Si au bout de quelques années, l’opérateur qui pratique la sous-location trouve un meilleur offrant pour son terrain, il peut décider de renvoyer l’opérateur à qui il l’avait sous-loué et qui y avait installé son activité. Ce dernier se tourne alors vers nous pour que nous les assistions dans cette situation. Or dans ce cas, comparable à un cas de recel, les deux opérateurs sont dans l’illégalité. Nous essayons alors de calmer le jeu, nous analysons la situation et, si nous jugeons qu’il est juste de confirmer l’opérateur installé, nous le faisons et nous veillons à ce que les impenses réalisées par le premier lui soient intégralement remboursées. Selon une estimation, près de 40 % des cas de sous-location donnent lieu à des litiges.

Quelles mesures de fond sont nécessaires pour que cette situation change ?

L’ancien cadre institutionnel de gestion de ces espaces, établi dans un contexte interministériel, a malheureusement favorisé cette évolution. Les services en charge se concentraient sur l’identification et l’affectation des parcelles aux opérateurs, mais n’assuraient pas de suivi quotidien des plateformes industrielles, qui leur aurait pourtant permis de reconnaître les cas d’infraction à la réglementation et de procéder en conséquence au retrait régulier de terrains. Le problème ne résulte pas de l’ignorance des opérateurs puisque ces derniers confirment avoir pris connaissance de l’interdiction de sous-location au moment de leur demande d’attribution de parcelle. Mais lorsque des intérêts financiers sont en jeu, la réglementation passe au second plan. Les opérateurs qui pratiquent la sous-location de leur terrain ont pleinement conscience d’être en porte-à-faux et enfreignent délibérément les règles. Seuls les opérateurs à qui des espaces sont sous-loués ne sont pas toujours au courant de la législation. Au moment de la création de l’AGEDI (Agence de Gestion et de Développement des Infrastructures Industrielles), l’un des premiers chantiers visait à assainir le milieu sur les anciennes zones. Nous avons mis en place une action que nous appelons « monographie » et avons commencé à identifier dans ce cadre les occupants des espaces de la plus grande zone de Yopougon, à déterminer les zones exactes d’occupation de ces espaces et à évaluer si l’occupation est légale, c’est-à-dire si l’ayant droit effectif est aussi l’occupant ou s’il s’agit d’une sous-location. En situation irrégulière, l’acte est annulé puis remplacé. Si l’évaluation révèle que la parcelle n’est pas suffisamment occupée, nous procédons à un remembrement pour donner accès aux espaces non exploités à d’autres opérateurs. Malgré le niveau de saturation atteint, nous avons constaté que certains terrains, pourtant affectés à des opérateurs depuis des dizaines d’années, n’étaient pas du tout valorisés. Notre action a donc permis de récupérer rapidement ces espaces et d’y installer une vingtaine d’autres opérateurs en zone de Yopougon. Ces derniers ont aujourd’hui terminé leur phase d’investissement. L’opération va se poursuivre sur les autres zones industrielles pour régulariser la situation et mettre fin à la spéculation dans tout le pays.

AGEDI (Agence de Gestion et de Développement des Infrastructures Industrielles en Côte d'Ivoire)
L’AGEDI a pour but de dynamiser le développement du secteur des infrastructures industrielles en Côte d’Ivoire.

Un autre problème est causé par l’installation d’opérateurs industriels sur des zones d’habitation. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Cette situation résulte du contrôle insuffisant du développement des espaces de la part de l’administration, comme je l’ai décrit précédemment. Lorsque l’État a créé les zones industrielles, les limites topographiques n’ont pas été clairement définies, si bien que des poches d’habitation se sont formées, parfois à l’intérieur ou à proximité de ces espaces, ce qui a provoqué des interférences par endroits. À Yopougon, où les travaux de réhabilitation ont déjà été entrepris, nous avons pu constater le phénomène. Nous travaillons en collaboration avec le maître d’œuvre, le BNETD (Bureau National d’Études Techniques et de Développement), pour proposer une délimitation précise de la zone et évaluer la possibilité de corrections. Si des habitations sont présentes à l’intérieur de la zone, une négociation doit être initiée avec ces derniers pour envisager une relocalisation à l’extérieur, afin d’aboutir à un périmètre bien circonscrit de la zone industrielle. La sécurisation des plateformes industrielles constitue aussi un enjeu fondamental. Or la validation des limites par les différents ministères techniques est une condition préalable à la construction d’une clôture, avec des entrées contrôlées garantissant la sécurité des opérateurs installés dans la zone. Car le flou topographique était favorable à l’intrusion de personnes malveillantes.

En quoi consiste votre offre à l’égard des investisseurs étrangers ? Et quel est l’avantage concurrentiel dont profite un investisseur en choisissant de s’installer en Côte d’Ivoire plutôt que dans un autre pays ?

Les offres faites aux opérateurs, comprenant notamment les mesures d’accompagnement et d’incitation fiscale, sont extrêmement nombreuses. Le CEPICI (Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire) qui est en charge de la promotion des investissements est encore mieux placé pour vous en livrer les détails. En ce qui concerne la stratégie de développement des infrastructures industrielles qui vise également les investisseurs étrangers, puisque ceux-ci ont besoin de terrains pour s’installer, le gouvernement a depuis 2011 entrepris des réformes ayant pour but de rassurer les opérateurs et de leur garantir une sécurité foncière. C’est dans ce contexte que l’AGEDI a été mise en place en mai 2013. De nouvelles procédures d’occupation des terrains industriels ont été définies par le gouvernement, et l’AGEDI est devenue dans ce cadre le guichet unique permettant d’accompagner les opérateurs dans leur installation et de leur offrir une sécurité sur le plan foncier. Au niveau du code des investissements, la Côte d’Ivoire présente aussi des avantages que les opérateurs ne retrouveront sans doute pas ailleurs dans la sous-région. En fonction de l’activité exercée et de la zone où il souhaite s’implanter, l’opérateur peut notamment être exonéré de certaines taxes sur une durée de 5 à 15 ans. Le pays dispose également d’infrastructures d’une qualité inégalée dans la sous-région (routes, énergie, etc.). Mais pour en revenir aux infrastructures industrielles proprement dites, le gouvernement a voulu dynamiser ce secteur et le rendre compétitif en établissant par le biais de l’AGEDI un programme de réhabilitation systématique des anciennes plateformes. En zone de Yopougon, les travaux viennent d’être achevés. Les opérateurs qui y sont installés peuvent aujourd’hui témoigner du piètre état de la zone avant les mesures de réhabilitation. Celle-ci était devenue presque inaccessible, surtout en période de pluie. Toutes les infrastructures étaient touchées : les routes, l’approvisionnement en énergie, les équipements d’assainissement, de téléphonie, etc. L’État a investi 24 milliards de francs CFA pour restaurer la zone qui est aujourd’hui devenue si attractive que les opérateurs se disputent la moindre parcelle libre. Le même programme vient d’être lancé pour réhabiliter la zone de Vridi, et il en ira de même pour les zones de l’intérieur du pays. Parallèlement, nous sommes en train de créer de nouvelles plateformes industrielles. Abidjan étant une destination prisée pour les opérateurs internationaux, une zone a été créée au niveau de l’autoroute du nord sur le site de PK24 qui s’étend sur 940 ha. Les 50 ha déjà aménagés ont accueilli les premiers opérateurs, dont un grand groupe international du secteur de la brasserie et un groupe spécialisé dans l’emplissage de bouteilles de gaz, tous deux en activité. Plus de 90 % des 50 ha ont été affectés aujourd’hui et la valorisation des terrains par les opérateurs a déjà commencé. De plus, 200 ha supplémentaires seront aménagés dans le cadre de partenariats public-privé, pour accroître la capacité d’accueil de la zone. Toutes ces mesures sont donc favorables à l’installation durable et sécurisée d’opérateurs intéressés par la Côte d’Ivoire. À l’intérieur du pays, les zones de Bouaké, Yamoussoukro, Korhogo, San Pedro, Bonoua ont été créées et la toile ne cesse de s’étendre. La stratégie vise à établir à terme un schéma directeur de développement et d’aménagement des 10 zones industrielles principales du pays. En attendant, nous nous appuyons sur les plans directeurs d’urbanisme, élaborés en fonction des zones stratégiquement importantes du point de vue des ressources locales produites. L’opérateur désirant s’installer disposera donc d’un cadre solide et d’une garantie de sécurité foncière essentielle au développement de son activité.

Ce cadre peut-il déjà être utilisé comme argument en vue d’attirer les opérateurs?

Après avoir garanti à un opérateur qu’il pourra s’installer durablement, la question qui se pose est celle des conditions d’accès aux terrains industriels. En janvier 2015, de nouvelles procédures d’occupation des zones industrielles ont été définies. Elles se déclinent en trois étapes : l’acquisition d’une lettre d’autorisation de mise en valeur, la délivrance d’un arrêté d’occupation par le Ministère de l’Industrie et des Mines et la conclusion d’un bail emphytéotique. Pour initier le processus, l’opérateur monte un dossier technique relatif à l’investissement envisagé, assorti de la demande de terrain d’une surface proportionnelle à la hauteur de son investissement. Ce dossier est déposé au guichet unique du CEPICI, puis acheminé à l’AGEDI qui l’analyse sous 20 jours ouvrables et détermine si le candidat est éligible. Son projet doit être mature et tous ses aspects doivent avoir été planifiés : les ressources, les partenaires, etc. Une commission de validation ajoute enfin son avis et si tous les critères sont remplis, l’opérateur est éligible à l’obtention d’une lettre d’autorisation de mise en valeur. Il a ensuite 24 mois pour finaliser la valorisation : l’unité industrielle doit être installée et le premier produit fini doit en être sorti, car l’investissement seul n’est pas une mise en valeur. Seule l’activité industrielle en témoigne. Un arrêté d’occupation est alors délivrée par le Ministère de l’Industrie et permet l’accès à un bail, co-signé par le Ministre de l’Industrie et celui de la Construction. Les procédures ont été simplifiées et sont bien plus rapides que les précédentes. La maturité du projet est désormais déterminante. Les opérateurs doivent prouver qu’ils ont la capacité de démarrer leur projet aussitôt qu’ils disposent d’un terrain.

Quelle sera selon vous la situation de l’AGEDI dans deux ans ? Quels objectifs aura-t-elle atteints ?

Au moment de la mise en place de l’AGEDI, un cadre plus compétitif était nécessaire pour les anciennes plateformes industrielles. Les réformes avaient déjà permis de revaloriser les redevances industrielles sur lesquelles l’État s’appuie pour financer le secteur. Le FODI (Fonds de Développement des Infrastructures Industrielles) a été créé pour collecter et mobiliser les ressources dans le secteur. L’AGEDI s’est donc attelé à réhabiliter au plus vite les anciennes plateformes industrielles pour que l’augmentation des redevances soit justifiée aux yeux des opérateurs. Aujourd’hui le pari est presque gagné, puisque les travaux de Yopougon sont en train d’être achevés et d’autres sont en cours. À court terme, la situation de toutes ces anciennes zones sera donc nettement améliorée, du point de vue de la voierie, de l’assainissement, de l’environnement, de la sécurité. Mais il va falloir également procéder à la régularisation du statut des occupants. Beaucoup d’opérateurs sont en attente de leurs actes. Certains ont reçu une promesse d’attribution mais la procédure n’a jamais été finalisée par la délivrance d’un acte. D’autres se sont livrés à la spéculation, comme je l’expliquais précédemment, et n’ont évidemment obtenu aucun acte. Or les actes sont une garantie de sécurité pour les opérateurs, il est donc indispensable de procéder à la régularisation de leur statut. D’autres encore n’ont reçu qu’un acte provisoire et sont en attente d’une confirmation qu’ils pourraient faire valoir auprès d’un établissement banquier pour consolider leur investissement. Tous ces cas, qui représentent environ 300 dossiers depuis juin 2015, ont été pris en charge par l’AGEDI. La régularisation de ces situations constitue une mission essentielle de notre organisme. Nous allons aussi poursuivre la stratégie de développement de nouvelles plateformes. D’ici deux ans, plusieurs zones devraient être disponibles à Korhogo, Aboisso, Abengourou, Adzopé, San Pedro et pourront faire l’objet d’une promotion auprès des opérateurs souhaitant s’installer dans notre pays. Voilà donc nos principaux défis : réhabiliter et assainir les anciennes zones, régulariser les statuts d’occupation des opérateurs et créer de nouvelles plateformes modernes et compétitives.

Enfin, j’aimerais revenir aux réformes industrielles prises depuis 2013 qui ont donné naissance à l’AGEDI et ont été brillamment achevées par le Ministre de l’Industrie, Jean-Claude Brou. La création de l’AGEDI a été motivée par la volonté de dynamiser le développement du secteur des infrastructures industrielles. Or cet objectif a été énoncé il y a plus de 20 ans. Il a fallu attendre l’avènement de Jean-Claude Brou à la tête du Ministère de l’Industrie et des Mines pour que les réformes comprenant la naissance de l’AGEDI, la mise en place de nouvelles procédures et la création du Fonds de Développement des Infrastructures Industrielles, n’aboutissent. Ces réformes sont inédites et les résultats ont commencé à se faire sentir sur le terrain. Jusqu’au travaux de réhabilitation, la zone de Yopougon était dans un état misérable, comme en témoignent les nombreux incidents relatés dans la presse – certains opérateurs se mettaient même en congé lorsqu’il commençait à pleuvoir car ils n’avaient plus accès à leur unité. Les réformes ont été initiées par Mr le Ministre, qui connaît très bien le milieu industriel, en concertation avec le secteur privé dans une approche participative, et il convient aujourd’hui de saluer sa clairvoyance. Nous orientons notre action conformément aux principes qu’il a définis pour donner à l’AGEDI ses lettres de noblesse, offrir des zones industrielles modernes et compétitives à la Côte d’Ivoire, et élever le pays au rang de pays émergent, comme le souhaite le Président de la République.

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