Centre de Promotion des Investissements en Côte d’Ivoire : Interview avec Emmanuel Essis
Emmanuel Essis partage son avis sur la croissance des investissements en Côte d’Ivoire et explique quelle est la stratégie du CEPICI pour attirer les investisseurs et favoriser le climat des affaires dans le pays. Il évoque également les services fournis aux investisseurs par le CEPICI, ainsi que les défis auxquels il doit faire face.
Interview avec Emmanuel Essis, Ministre auprès du Premier Ministre chargé de la promotion de l’investissement privé
Entre 2012 et 2016, la croissance des investissements a été de + 44 % en moyenne, ce qui est considérable. En 2016, les investissements étrangers ont atteint 672 milliards de francs CFA, mais la croissance n’a été que de 0,3 %. Selon vous à quoi est dû ce tassement de la croissance des investissements ?
Il faut d’abord préciser que ces chiffres correspondent au montant des investissements privés agréés au CEPICI, et non à l’ensemble des investissements au niveau national. Certains secteurs, comme les secteurs pétrolier ou minier, ne sont pas pris en compte. Le CEPICI gère le code des investissements mais ne gère pas les codes sectoriels. Les investissements agréés au CEPICI, à hauteur de 672 milliards de francs CFA en 2016, représentent 40 % de l’investissement national privé. En 2016, beaucoup d’événements expliquent l’affaiblissement de la croissance : l’attentat de Grand-Bassam qui a eu lieu en début d’année, puis le référendum suivi des élections législatives. Ce type d’échéance entraîne souvent une rétractation des investissements. En 2015-2016, nous sommes cependant restés constants en termes de volume, et certains secteurs ont même eu tendance à progresser et se diversifier, comme le secteur du tourisme notamment. Le secteur privé a développé des partenariats avec des acteurs venus de nombreux nouveaux pays tels que l’Inde, la Chine, qui jusqu’à maintenant n’investissait que dans le public, la Corée du Sud, l’Indonésie. De notre point de vue, 2015 a été une année excellente par rapport à 2016.
Les investissements proviennent en effet de pays toujours plus nombreux. Les pays africains représentent 53,8 % des investissements (10 % venant du Nigéria) et l’Europe 30 % (avec 12 % d’investissements français). Et de plus en plus d’investisseurs asiatiques et américains choisissent de se tourner vers la Côte d’Ivoire. La stratégie du CEPICI vise-t-elle un renforcement des secteurs où les investissements sont déjà élevés ou une diversification basée sur l’attrait de nouveaux investisseurs ?
L’action du CEPICI se situe à tous les niveaux, de l’identification des investisseurs à la conclusion de marchés en passant par la coordination de mesures de réforme de l’environnement des affaires. Ces dernières sont indispensables à notre crédibilité vis-à-vis des investisseurs internationaux et visent à simplifier et accélérer les procédures administratives.
Nous avons choisi une méthode d’attraction des investissements « par ciblage », reposant sur plusieurs piliers. Le premier porte sur les secteurs d’activité. Nous suivons l’objectif, énoncé par le président de la République, de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent, en se basant, durant les cinq prochaines années, sur l’industrialisation de tous les secteurs : l’agriculture, les mines, le pétrole, etc. Dans ce cadre, nous nous concentrons sur les secteurs stratégiques identifiés dans le PND (Plan National de Développement) pour la période 2016-2020. Deuxièmement, nous allons chercher les meilleurs investisseurs privés dans le monde. La CNUCED sort chaque année un rapport des investissements dans le monde, les FDI (foreign direct investment). Sur cinq ans, la Côte d’Ivoire n’a capté que 3 % des investissements effectués par les cinquante pays qui investissent le plus dans le secteur privé au niveau mondial. Sur les 300 milliards de dollars investis par les Etats-Unis dans le secteur privé extérieur, la Côte d’Ivoire a attiré moins de 100 000 dollars, et seulement 30 000 dollars des investissements japonais. Nous avons donc tout intérêt à aller chercher les investisseurs dans ces pays-là. Notre troisième pilier porte sur les compétences. Nous voulons attirer les meilleurs investisseurs pour chacun des secteurs d’activité en Côte d’Ivoire. Nous cherchons à répartir les investissements venus de l’extérieur selon les différents secteurs d’activité, en fonction des domaines d’expertise des différents pays. Nous allons chercher les investisseurs dans les pays qui disposent d’une expertise dans le secteur donné. Le dernier élément concerne les relations historiques de la Côte d’Ivoire avec ces différents pays. Nous tenons également compte des rapports entretenus historiquement par le pays avec l’extérieur pour définir notre stratégie de recherche des meilleurs investisseurs. La combinaison de ces quatre piliers est déterminante dans l’élaboration de notre ligne directrice pour les prochaines années. Nous identifions les pays intéressants pour nous et entrons en contact direct avec les opérateurs des différents secteurs, pour sonder leur volonté de s’implanter en Afrique francophone, savoir s’ils y sont déjà présents, etc. Cette démarche entraîne à terme une plus grande diversification géographique. L’objectif est d’atteindre par exemple 1 % des investissements d’Océanie au bout de 5 ans, ce qui est déjà important. Notre approche permet aussi de satisfaire les acteurs des secteurs que nous souhaitons développer en Côte d’Ivoire et d’attirer des compétences.
Les principaux secteurs à avoir bénéficié des investissements étrangers en Côte d’Ivoire sont les bâtiment et travaux publiques (25 %), les technologies (17 %), l’agro-alimentaire (15 %), le transport (13 %) et l’industrie plastique (5 %). Pour un pays dont le secteur agricole est si fort et qui met en œuvre une stratégie d’agro-industrialisation dans le cadre de son PND (Plan National de Développement), il est étonnant que l’agro-alimentaire n’atteigne que la troisième place en matière d’investissements étrangers. À quoi ce classement est-il dû selon vous ?
La croissance est telle que nous oublions parfois que le pays sort d’une crise depuis 2010. Le premier élément nécessaire à l’industrialisation du pays concerne les infrastructures. Il est donc tout à fait normal que les investissements se concentrent sur le BTP dans les premières années post-crise. Cela constitue une condition sine qua non au développement de l’économie ivoirienne. La deuxième phase du PND peut alors s’appuyer sur des infrastructures de qualité à différents niveaux. Même s’il reste encore des efforts à faire, les infrastructures représentent une base solide pour le processus d’industrialisation.
Dans les classements internationaux, la Côte d’Ivoire a gagné 35 places. Pour la période allant de 2014 à 2017, elle est située à la 142ème place mondiale. Quels sont les projets qui vont vous permettre de continuer à améliorer votre positionnement ?
Nos équipes ont visité divers pays comme la Géorgie, Singapour et la Nouvelle-Zélande pour identifier leurs facteurs de réussite et s’en inspirer. Le premier critère est la dématérialisation. Tous ces pays ont mis en place des services administratifs dématérialisés pour leurs citoyens et entreprises qui bénéficient alors d’un accès facile et rapide aux informations. Notre prochain objectif est de mettre en place un service de ce type pour faciliter de nombreuses démarches : la création d’entreprises, le paiement des impôts, la déclaration foncière, les actes de justice, etc. Toutes les interactions entre les entreprises et l’administration seront dématérialisées, à l’image des pays jouissant d’un positionnement élevé dans les classements internationaux. Ce processus sera doublé d’un renforcement de dispositifs institutionnels. Le 4 décembre dernier, le gouvernement a approuvé, pour la période allant de 2017 à 2019, un programme de 62 réformes d’un montant total de 16 milliards de francs CFA. Le projet de créer un service public unique constitue aussi une part essentielle du plan. Le citoyen ivoirien n’aura plus besoin de se déplacer pour accéder à des documents, il pourra le faire depuis son ordinateur. Ces réformes vont permettre à la Côte d’Ivoire d’entrer dans la cour des grands.
Quels services fournissez-vous et quel appui apportez-vous aux investisseurs ?
En créant le CEPICI en 1993 et en le réformant en 2012, le Président de la République en a fait le guichet unique des investissements privés en Côte d’Ivoire. Sa principale mission est d’aller chercher l’investisseur, de l’informer, de l’assister, de lui octroyer les avantages fiscaux et douaniers, de l’aider à créer son entreprise et à s’installer, et enfin de lui assurer un suivi. Dans tout le processus de décision de l’investisseur, le CEPICI est présent et son action va de la simple information à la prise de mesures lui permettant de réaliser son investissement dans les meilleures conditions. L’action du CEPICI se situe à tous les niveaux, de l’identification des investisseurs à la conclusion de marchés en passant par la coordination de mesures de réforme de l’environnement des affaires. Ces dernières sont indispensables à notre crédibilité vis-à-vis des investisseurs internationaux et visent à simplifier et accélérer les procédures administratives. Le regroupement de services administratifs a permis de faciliter notamment la création d’entreprises ou la délivrance de permis de construire. Nous avons mis en place le Tribunal de Commerce d’Abidjan qui se distingue par la rapidité de ses procédures en première instance, et une cour d’appel est actuellement en cours de constitution. Toutes ces mesures sont favorables au climat des affaires et à l’attrait des investisseurs étrangers qui doivent profiter de procédures fluides et transparentes.
Où se situent vos principaux défis actuellement ?
Notre premier défi réside dans la mise en place de ce portail unique de l’investisseur. Le stade de la conception est déjà derrière nous, les prestataires ont été sélectionnés et nous sommes en train de développer le système qui devrait être disponible à l’été 2017. Notre objectif est que le niveau de service à l’investisseur soit de qualité internationale. Ce portail permettra à l’investisseur d’effectuer toutes les démarches de création de son entreprise sans avoir besoin de se déplacer, en scannant ses documents et les soumettant en ligne. Le paiement de ses impôts se fera également par le portail. Pour les demandes de permis de construire, la démarche sera la même. Toutes les procédures qui rythment la vie d’une entreprise de sa création à son inspection seront dématérialisées et cette étape va changer la physionomie de la Côte d’Ivoire dans son interaction avec les investisseurs. L’étape suivante consiste à s’attaquer à l’ensemble du processus de décision de l’investissement, pour atteindre un niveau de fluidité et de transparence le plus élevé possible. L’information constitue un autre défi auquel nous faisons face. Il est aujourd’hui difficile pour les investisseurs d’avoir accès aux données dont il a besoin pour prendre ses décisions. Nous souhaitons démocratiser le CEPICI et créer, par le biais du portail, un centre d’information au service des investisseurs.
Beaucoup d’entreprises dénoncent aujourd’hui le manque de transparence sur le plan fiscal ou foncier en Côte d’Ivoire. Êtes-vous impliqués dans le grand processus de restructuration administrative visant à transformer le climat des affaires et à inciter ainsi les investisseurs à venir s’implanter dans le pays ?
Le CEPICI joue un rôle crucial à ce niveau. Plusieurs niveaux sont concernés. Le premier est celui des procédures administratives qui est déjà en train d’être réformé. Le second touche des problèmes plus profonds de l’économie ivoirienne. Le domaine fiscal est un chantier sur lequel nous travaillons. Une commission nationale a été mise en place et son analyse de la fiscalité ivoirienne révèle que le taux d’imposition est trop élevé. Mais dans la mesure où ce taux dépend du budget de l’État, sa révision doit faire l’objet d’une décision réfléchie de la part du gouvernement et appuyée par la commission en charge. Le taux devrait baisser dans les deux prochaines années. En matière de contrôle fiscal ou de contentieux, des mesures claires de réglementation ont déjà été prises. Un système d’appel est par exemple en train d’être mis en place auprès des juridictions concernées. Sur le plan foncier, le système d’information géographique va permettre de cartographier et d’informatiser les terrains. Aujourd’hui, les cadastres sont enregistrés sous forme papier, ce qui complique la gestion et la vente des terrains aux entreprises car beaucoup d’erreurs sont commises. L’informatisation résoudra donc tous ces problèmes et facilitera les transactions foncières par la gestion électronique de l’attribution des terrains. Quant aux permis de construire, la procédure a été simplifiée et est désormais gérée par un seul service. Depuis la réforme, le niveau de risque que comporte la construction constitue le principal critère d’attribution. Le premier niveau de réforme porte donc sur les procédures administratives et l’interaction, le deuxième niveau d’action relève de problèmes de fond liés à l’économie même du pays et sa compétitivité, de la politique fiscale et foncière dans son ensemble. Les deux niveaux dépendent l’un de l’autre, le premier facilitant le second. L’État a ainsi déjà été capable de prendre des mesures de fond. Le taux d’imposition de transfert de propriétés a par exemple été réduit de 10 à 4 %. Mais tout cela prend du temps.
Quelles opportunités vont s’ouvrir selon vous au cours des deux prochaines années pour les investisseurs extérieurs et comment votre rôle va-t-il évoluer ?
Partons pour cela du PND qui s’établit à 30 000 milliards de francs CFA et doit être envisagé en paliers. Le premier palier porte sur les ressources naturelles. Nous disposons en Côte d’Ivoire de pétrole, de gaz, de diamants, d’or, de cacao, de café, etc. Il faut s’assurer d’atteindre de bons rendements et se concentrer sur l’industrialisation dans ce secteur. 1,8 millions de tonnes de cacao produits représentent aujourd’hui 300 000 tonnes transformées. Sur 800 000 tonnes d’anacarde produits, seules 100 000 tonnes sont transformées. L’industrialisation est donc ici nécessaire et constitue une opportunité d’investissement. L’industrialisation de l’exploitation des sous-sols est aussi fondamentale et nécessite des ressources énergétiques importantes et des infrastructures de qualité, ce qui constitue le deuxième palier essentiel. Le gouvernement projette d’atteindre une production d’électricité de 4000 MW d’ici à 2020 et de construire 3000 km de routes bitumées sur les cinq prochaines années (6000 km au total), ainsi que des chemins de fer, des autoroutes, des barrages hydroélectriques, des stations de production d’eau potable, des zones industrielles. Tout cela représente de nouvelles opportunités d’investissement. Le secteur de l’énergie qui vient d’être libéralisé est particulièrement intéressant à ce point de vue pour les investisseurs. Le troisième palier touche les services. Nous disposons de 5000 à 7000 km de fibre optique répartis sur tout le territoire national pour permettre un niveau poussé d’informatisation. En Côte d’Ivoire, le taux de pénétration de la téléphonie mobile dépasse les 95 %. Tous les services sont concernés et constituent des leviers de développements : le tourisme, les services à l’entreprise, le transport fluvial, maritime, aérien, ferroviaire, etc. Ces trois piliers ouvrent donc d’innombrables perspectives aux investisseurs. La Côte d’Ivoire a l’avantage d’être un pays très diversifié et le Président de la République invite à poursuivre la diversification pour que le pays ne subisse pas les fluctuations des matières premières. Si le prix du cacao baisse mais que d’autres pans de l’économie sont en mesure de prendre le relais, un équilibre peut être trouvé et l’économie dans son ensemble reste solide. C’est donc l’objectif à atteindre avant 2020.