Bilé-Aka, Brizoua-Bi & Associés : Un Cabinet d’Avocats à Vocation Internationale à Abidjan
Dans cette interview exclusive, Maître Michel Brizoua-Bi nous parle du domaine de la justice et des cabinets d’avocats à vocation internationale en Afrique, et explique quelles sont les principales compétences du cabinet Bilé-Aka, Brizoua-Bi & Associés.
Interview avec Maître Michel Brizoua-Bi du Cabinet Bilé-Aka, Brizoua-Bi & Associés
Parlons des cabinets en Afrique de manière générale. Quelle est votre sentiment par rapport à leur maturité ?
Le célèbre magazine économique londonien The Economist avait titré l’une de ses publications : « Africa Rising ». En effet, nous sommes partis d’une zone qui était endormie, où le niveau de qualification et d’expérience de la plupart des acteurs sur ce que l’on peut appeler les dossiers complexes internationaux étaient jugés, hors du continent, comme faible ; pour arriver à un réveil dans pratiquement toutes les zones du continent, ce qui se traduit aujourd’hui par l’émergence de cabinets internationaux africains. Cela est tout simplement parti d’un meilleur niveau de formation des acteurs qui viennent aujourd’hui d’Angleterre, de France, des États-Unis et qui, petit à petit, ont commencé à créer des structures solides, à même de pouvoir vraiment concurrencer les mégas firmes mondiales. On observe beaucoup plus ce phénomène en Afrique anglophone, dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigéria, le Kenya et le Ghana, où vous trouvez désormais des cabinets d’une puissance et d’une taille à même de rivaliser avec les meilleurs cabinets du monde. La zone francophone est en train de suivre cette voie (peut-être de façon un peu plus timide). Je pense toutefois que clairement, aujourd’hui, nos confrères du monde entier le reconnaissent : on ne peut plus considérer la zone africaine comme une zone faible en termes de capacités. Il existe désormais un réel relèvement au niveau des compétences, de l’organisation et de la qualité des services offerts sur le continent.
Quelle est votre évaluation de la capacité de la justice, dans le domaine des affaires, à être mise en place de manière indépendante et la plus équilibrée possible ?
Je pense que l’on assiste à une véritable montée en puissance des cabinets ivoiriens qui interviennent aujourd’hui aussi bien en Afrique, que hors d’Afrique, pour le compte de clients nationaux et internationaux.
Cela n’a rien à voir avec le domaine des affaires, mais avez-vous vu la récente décision rendue par un juge kényan dans le cadre d’un contentieux électoral, où malgré la tension et les enjeux, il a annulé une élection qui pour certains ne pouvait être annulée ? Cela signifie clairement qu’aujourd’hui, un signal a été lancé quant à la nécessité de laisser la justice travailler avec indépendance et surtout, je dirais que les juges eux-mêmes commencent, non pas à faire prévaloir leur indépendance, mais ils arrivent désormais à prendre leurs responsabilités. Donc, pour revenir au domaine des affaires, il convient d’avoir une approche relative. Tout simplement parce que le droit investit tous les chantiers de l’économie, mais malgré tout, cela ne s’est pas nécessairement accompagné d’une capacité des acteurs du secteur judiciaire, dont ceux qui rendent la justice, de disposer du niveau d’expertise, d’exposition et de compréhension des enjeux, mais aussi des implications et même des mécanismes de la vie économique. Il est donc vrai que dans certains pays, il existe un véritable fossé entre ces acteurs en termes du nombre qui soit à même de pouvoir comprendre et de traiter des contentieux très complexes. C’est malheureusement la raison pour laquelle on constate que beaucoup d’opérateurs internationaux qui sont présents en Afrique pour des projets d’investissement, d’infrastructure, de mines, d’énergie et autres, ont pour premier réflexe d’imposer le règlement de leurs différents hors du continent. Ils estiment, quelques fois à tort, que la justice qui serait rendue en cas de contentieux ne serait pas forcément indépendante. Ensuite, ils doutent de la capacité des acteurs judiciaires de pouvoir traiter techniquement des problématiques susceptibles de naitre dans l’exécution de ces projets-là. Il y a donc des pays qui ont accompli des efforts très importants de formation et de nivellement des capacités des acteurs judiciaires qui font qu’aujourd’hui, pour certains grands projets, les acteurs ne se posent pas nécessairement la question de l’indépendance ou de l’aptitude des acteurs judiciaires à pouvoir traiter et prendre en charge ce type de contentieux. Cela vaut également pour les avocats. Il nous arrive souvent de voir des acteurs du secteur privé local se dire : « bon, en cas de contentieux, je préfère me faire accompagner par tel ou tel cabinet de telle place de Paris, de Londres ou de New York ». Mais comme je le disais précédemment, cette tendance est en train de changer. Les acteurs locaux bénéficient d’une plus grande confiance. La plupart, lorsqu’ils se retrouvent en position de leaders sur leur marché, ont bénéficié de formations occidentales (ou quelques fois biculturelles, c’est-à-dire africaines et européennes ou américaines). Ainsi, le niveau de formation devenant de plus en plus secondaire, on nous questionne quelques fois sur l’organisation ou sur sa taille, car dans ces projets on se demande si tel ou tel acteur sera en mesure de mobiliser 30, 40, 50 avocats pour un seul projet. Cette question ne se pose pas en occident ou ailleurs. Donc, la question de la crédibilité se pose de moins en moins. C’est davantage la capacité à prendre en charge des projets très lourds, aux enjeux financiers importants. Je pense également qu’il ne faudrait pas avoir une opinion tranchée et générale sur ces capacités, parce que nous avons des marchés qui sont désormais devenus très matures, comme le Kenya, l’Afrique du Sud, le Nigéria et même dans une certaine mesure l’Afrique du Nord, où nous avons des cabinets de taille et de qualité importante. Je crois donc que les tendances sont en train de s’inverser positivement, mais il convient de rester prudent parce que les Afriques demandent à chaque fois une approche différentiée de ce type de question.
Quelle est la situation en Côte d’Ivoire ?
La Côte d’Ivoire n’a pas de complexes à avoir en la matière. Nous sommes effectivement partis d’une zone où, sur le plan organisationnel, les acteurs avaient une tendance à s’orienter majoritairement vers le domaine judiciaire. Mais, lorsqu’il s’agissait de prestations ou d’interventions à forte valeur ajoutée à contenu international, il y avait une forte tendance des acteurs publics à systématiquement faire appel à de la compétence internationale.
D’après ce que j’ai pu observer à titre personnel, au début des années 90, lorsque l’Etat de Côte d’Ivoire s’était attaché les services d’un confrère de la place très respecté dont le cabinet a eu la charge de l’accompagner dans le cadre de privatisations, cela est à mettre au crédit de l’actuel président lorsqu’il était premier ministre. Il est vrai que nous avons eu des acteurs dont certains sont encore là et qui ont été chargés d’intervenir dans de gros contentieux, de grosses affaires ou de grosses transactions, mais cela a constitué un signal fort, envoyé aux jeunes acteurs locaux que nous étions, pour nous dire que ce secteur-là pouvait être ouvert aux acteurs locaux. Par la suite, les autres gouvernements, les acteurs du secteur public, certaines entreprises publiques, et même des grandes entreprises privées de la place, ont commencé à faire confiance aux cabinets locaux qui interviennent aujourd’hui régulièrement à l’international. Je pense que l’on assiste à une véritable montée en puissance des cabinets ivoiriens qui interviennent aujourd’hui aussi bien en Afrique, que hors d’Afrique, pour le compte de clients nationaux et internationaux.
Quelles sont les principales compétences du cabinet Bilé-Aka, Brizoua-Bi & Associés ? Quels sont les domaines où vous vous distinguez fortement ?
Je vais peut-être vous décevoir, mais je pense que c’est aux clients de nous répondre. C’est eux qui, ayant eu l’occasion d’avoir bénéficié de l’appui de tel ou tel confrère de la place ou d’ailleurs, peuvent apprécier ce que je qualifierais de « valeur ajoutée » que nous pouvons apporter. Notre message vis-à-vis de nos clients depuis le début et qui constitue un peu l’ADN de ce cabinet est de considérer qu’aujourd’hui, nous sommes les acteurs d’un marché qui est clairement régional et qui est né de la volonté des états membres de l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires), d’harmoniser le droit des affaires dans 17 Etats. Dès le début de la création de cette maison, notre ADN a été de nous dire que nous devions nous donner les moyens d’être des acteurs de choix au plan local, mais d’être aussi des acteurs de choix pour des transactions ou pour des besoins qui peuvent naitre en dehors de ce marché national où nous nous situons. À titre personnel, je n’ai jamais oublié l’expérience que j’ai vécue en RDC, lorsque des acteurs canadiens nous avaient dit que pour une transaction spécifique, compte tenu de notre expérience en droit des affaires OHADA, ils souhaitaient que nous soyons au centre de cette transaction. Elle s’est déroulée avec succès pour nous. Cela a été la réponse claire à la question que nous nous posions à l’époque où nous fondions cette structure : qu’allons-nous apporter à ce marché ? Pour nous, le fait de bénéficier de cet appui sur un territoire où nous n’étions pas installés a été la démonstration de la pertinence de notre approche et en même temps la preuve qu’il existait un véritable besoin de dépasser les frontières qui ont été créées avec l’indépendance de nos pays, face à la naissance d’un vrai marché unique du droit qui devrait permettre [c’est notre rêve] que des acteurs de tous ces pays puissent invariablement intervenir ou accompagner leurs clients, parce que contrairement à ce que l’Union Européenne a pu faire en termes d’édification de règles communautaires et en termes d’harmonisation, les états africains ont unifié leur droit des affaires. Cela constitue donc, pour nous, la véritable opportunité, le vrai challenge qui s’offre aux acteurs des générations futures et même actuelles, de s’imposer comme des acteurs de tout un marché qui couvre 17 pays et non pas de l’un de ces pays ou d’un micro Etat, même si j’ai beaucoup de respect pour eux, étant moi-même ressortissant de l’un de ces pays. Il s’agit d’un défi immense, dont je ne pense même pas que nous l’ayons relevé à 2 %. Néanmoins, c’est ce qui devrait constituer pour nous un objectif à long terme. Je ne suis même pas certains que nous parvenions à le réaliser avant la retraite de ce cabinet. Mais c’est un défi pour la génération actuelle de juristes et d’avocats qui nous accompagnent pour que demain, nous puissions ne plus être nécessairement perçus comme un cabinet ivoirien, mais comme un cabinet majeur ou un cabinet de la zone OHADA.
Auriez-vous besoin de partenaires dans ce développement ?
Nous avons des correspondants, des partenaires, dans pratiquement tous les grands centres du continent. Nous avons des partenaires hors d’Afrique, à Paris, notamment le cabinet FIDAL et bien d’autres. On ne peut progresser dans cette profession sans partenariats. Il faut qu’ils soient intelligents, respectueux des règles déontologiques et gagnants-gagnants. Lorsque l’on a compris cela, on arrive à s’organiser de telle sorte que l’on puisse d’abord être un interlocuteur de choix pour ces partenaires et que l’on puisse également apporter, à partir de notre savoir-faire et de notre expérience, une vraie valeur ajoutée à ces partenaires. Quant à la stratégie, comme je l’indiquais plus tôt, elle doit être prudente, réaliste et adaptée à la réalité du monde des affaires. Même dans ce marché OHADA qui comprend 17 pays, l’Afrique est un marché, certes, homogène, mais très diversifié. La culture des affaires dans certains de nos pays est très différente et les réalités économiques aussi. Donc, il est peut-être souhaitable [et nous le souhaitons] que nous arrivions à devenir un cabinet OHADA, mais les éléments majeurs qui doivent nous guider sont, en fait, les besoins de nos clients et notre capacité réelle à pouvoir les satisfaire de manière identique partout où nous devrions pouvoir avoir une présence. Cela n’est pas gagné d’avance et je pense à une stratégie à long terme très prudente, mais très ambitieuse parce que c’est dans ce sens-là que vont les choses et dans quelques années, les frontières disparaitront peu à peu, la capacité à travailler ne dépendra plus de l’aptitude à pouvoir prendre un avion parce qu’on travaillera par mails et différents moyens technologiques. La question sera de dire : comment peut-on arriver à être efficaces, compétents et légitimes dans n’importe laquelle de ces zones tout en demeurant un cabinet local ?
Avez-vous des exemples de success-stories de cas défendus au plan régional ou transfrontalier ?
Nous vivons ce type de success-stories tous les jours, et ce dès lors que nous sommes consultés sur des problématiques transfrontalières. Et ça, nous le devons également à la qualité des correspondants et des partenaires que nous avons dans différents pays. Quant à l’historique d’un certain nombre d’interventions, je dirais qu’il nous arrive aujourd’hui très fréquemment de recevoir une demande d’un état membre de l’OHADA afin que nous intervenions dans un dossier de contentieux qui n’a rien à voir avec la Côte d’Ivoire, ou des transactions qui nous viennent de pays occidentaux qui estiment avoir besoin d’une équipe mixte, à la fois européenne et africaine, pour accompagner la réalisation de tel ou tel projet dans un pays qui n’est pas nécessairement la Côte d’Ivoire. C’est aussi, pour moi, le signe indiscutable que le niveau de qualification des acteurs africains est reconnu. Nous savons qu’il y avait une sorte de complexe qui s’était développé sur certaines places, mais aujourd’hui, les clients se sont rendu compte d’une forte montée en puissance des compétences locales qui ne justifie plus le recours à des cabinets ou à des acteurs qui, malgré leur familiarité avec le continent africain, ne sont pas des praticiens de nos pays. Donc pour nous, « oui » aux partenariats et à ces échanges, mais de plus en plus de clients se rendent compte que la compétence locale suffit à faire la différence dans bon nombre de dossiers. Donc, nous espérons pouvoir maintenir ce cap et faire en sorte que dans nos pays, naissent des cabinets aussi respectés, aussi grands que ceux que l’on voit en occident ; que la question de l’accompagnement des investisseurs en Afrique ne se pose plus en terme de « est-ce que nous aurons un cabinet apte à comprendre les problématiques localement, accompagner et traiter toutes les problématiques ? » parce que le niveau de formation, d’organisation et d’intégrité de l’acteur seront des questions qui seront devenues secondaires ou même qui disparaitront des radars des questions que l’on se pose lorsque l’on vient d’occident ou d’ailleurs.
En termes de développement, il faut aussi développer et acquérir des ressources humaines. Est-ce que la formation est au niveau, ici ? Est-il facile de recruter des bons éléments pour son cabinet ?
Dans le marché ivoirien dans lequel j’évolue, et en dehors même du marché du droit, la Côte d’Ivoire se distingue par la qualité de ses ressources humaines. Je crois qu’il s’agit là de quelque chose qui est reconnu en Afrique et même en dehors d’Afrique. Le marché du droit gère un nombre important de confrères qui ont été formés localement et qui sont d’excellents confrères, qui sont même prisés par les cabinets internationaux. Je dois également ajouter que le niveau élevé de professionnels ivoiriens exerçant à l’étranger dans de grands cabinets, et qui pour certains, rentrent, fait que la question de la qualité de nos structures ne se pose plus.
Il faut certainement que nous fassions beaucoup plus d’efforts quant à la densification de notre capacité d’intervention, quant à la taille de nos structures, aussi, pour leur permettre d’absorber les transactions à fortes valeurs ajoutées et qui demandent la mobilisation d’équipes beaucoup plus larges. Mais c’est un processus qui se fera, parce que les générations changent et qu’ensuite le marché l’imposera. Lorsque vous reviendrez dans quelques années, nous espérons que nous aurons pu grandir et que nous aurons une taille plus importante. Non pas pour satisfaire des statistiques, ou notre égo personnel, mais davantage pour être en mesure de pouvoir être efficaces et répondre aux attentes du marché.
Quel serait votre message à nos lecteurs par rapport à l’environnement des affaires ici, en Côte d’Ivoire ?
Après les dures années que nous avons connues, à la fin de la crise post-électorale, des mesures ambitieuses ont été mises en œuvre par notre gouvernement pour améliorer le climat des affaires. D’après les classements, la Côte d’Ivoire se situe aujourd’hui au 139e rang. Mais au-delà de ce chiffre, que je considère comme théorique, j’ai deux messages : d’importants efforts ont été réalisés, mais il reste beaucoup à faire pour que la Côte d’Ivoire se retrouve à un rang comparable à celui de Maurice. Je crois que les autorités ont clairement cette vision et savent qu’il s’agit de la voie à emprunter si l’on veut véritablement atteindre les ambitions d’émergence que notre président assigne à bon droit à ce pays-là. Maintenant, il y avait quand même un certain nombre d’éléments qu’il était important de traiter, l’un d’eux étant la présence nationale dans l’économie ivoirienne. J’appartiens d’ailleurs au patronat, qui avait mis en avant l’idée de la promotion de champions nationaux. Désormais, il faut que l’on passe concrètement à, non seulement une stratégie, mais des mesures claires qui feront éclore ces champions dans tous les domaines, y compris dans celui du droit. En conclusion, je voudrais dire que nous avons, avec nos performances économiques, avec notre capital humain, avec notre positionnement, et je pense aussi, avec la cote d’amour dont la Côte d’Ivoire jouit auprès des Africains et auprès des citoyens du monde, une vraie chance de pouvoir faire de la Côte d’Ivoire une capitale économique majeure dans le monde. Maintenant, il faut que chacun joue sa partition. Nous, on espère pouvoir jouer la nôtre dans notre métier.