Patronat Ivoirien : Interview Exclusive avec Jean-Marie Ackah, Président de la CGECI

Dans cette interview exclusive, Jean-Marie Ackah nous parle des différentes actions de la CGECI en termes de sujets-clé, tels que le développement du secteur privé, le renforcement des services envers ses membres en matière de formation continue de haut niveau et de prospection des marchés dans l’UEMOA et la CEDEAO, la participation des entreprises locales aux grands projets développés en Côte d’Ivoire par des sociétés internationales, etc.

Interview avec Jean-Marie Ackah, Président de la CGECI (Confédération Générale des Entreprises de Côte d’Ivoire)

Jean-Marie Ackah, Président de la CGECI

Dans votre programme, vous déclarez vouloir être une force de proposition auprès du gouvernement pour améliorer le climat des affaires. Quel type de proposition concrète défendez-vous pour soutenir le développement du secteur privé ?

Dans le processus d’amélioration du climat des affaires, des efforts ont été faits par le gouvernement ces dernières années, mais nous estimons que la marge de progression reste extrêmement large, le but étant que le climat des affaires soit en cohérence avec les objectifs que nous nous sommes fixés en Côte d’Ivoire. En tant qu’organisation patronale, nous voulons être force de proposition, car nous sommes les mieux placés pour connaître les besoins et attentes réelles des investisseurs. Nous savons sur quels points il faut mettre l’accent pour que d’une part, le pays soit encore plus attractif pour de nouveaux investisseurs, et que d’autre part, ceux déjà présents dans le pays puissent développer leur activité. Plusieurs secteurs sont concernés. La fiscalité est un secteur pour lequel nous avons déjà fait des propositions concrètes. Nous avons coopéré avec les organisations et services gouvernementaux concernés dans le cadre d’un projet de réforme fiscal. Nous avons réalisé une analyse objective et critique de l’ensemble du système fiscal ivoirien, pour identifier ses forces et ses faiblesses, et en proposer une réforme qui vise la mise en place d’une « fiscalité de développement », à la fois incitative et en cohérence avec notre plan de développement. Notre contribution touche aussi la sécurité juridique des affaires. Le patronat a été très actif dans la mise en place réussie du Tribunal de Commerce en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, nos propositions visent à aller plus loin dans ce processus. Il n’existe pour l’instant qu’une seule chambre au Tribunal de Commerce et nous demandons l’établissement d’une chambre supplémentaire d’appel, pour éviter que les appels ne soient traités par des juridictions de droit commun. Nos propositions touchent aussi tout ce qui fait le quotidien du secteur des affaires : les infrastructures liées aux industries et entreprises, l’état des zones industrielles, le fonctionnement du port autonome d’Abidjan, etc. En tant qu’opérateurs, nous proposons les solutions les mieux adaptées. Le gouvernement doit prendre en compte les réalités de terrain au niveau opérationnel avant de décider de ses investissements, pour que ces derniers aient toute l’efficacité souhaitée. Nous souhaitons être force de proposition sur un plan stratégique global. Nous étions impliqués dans toutes les commissions qui ont préparé le plan national de développement pour la période 2016-2020. Mais notre effort ne s’arrête pas là, car les affaires relèvent aussi de l’opérationnel quotidien. Nous sommes donc, auprès du gouvernement, le porte-parole d’entreprises qui agissent sur le terrain. Nous proposons des pistes pour favoriser leur développement en Côte d’Ivoire, trouver des réponses à la problématique du financement des PME, soutenir l’émergence de « champions nationaux et régionaux ». L’objectif est de retrouver, dans le tissu économique de la sous-région, des entreprises ivoiriennes reflétant la position de la Côte d’Ivoire qui représente la moitié de l’économie de l’UEMOA.

Pouvez-vous décrire vos relations avec le gouvernement dans ce cadre ?

Nous entretenons avec le gouvernement des relations relativement favorables. Nous sommes aujourd’hui considérés comme des partenaires consultatifs. Nous sommes consultés par le gouvernement pour toutes les décisions touchant au secteur économique. Ce statut correspond à une étape nécessaire, mais nous estimons avoir atteint un niveau de maturité dans notre partenariat public-privé qui peut nous permettre d’aller au-delà du simple rôle de consultation et d’élaborer ensemble, dès le début, les dispositifs les plus appropriés. Nous voulons être partie prenante dans l’identification des problèmes et la définition des objectifs et orientations stratégiques. Voilà le discours que nous tenons actuellement au gouvernement.

Un autre point de votre programme concerne le renforcement et le développement des services envers vos membres, en particulier en matière de formation continue de haut niveau et de prospection des marchés dans l’UEMOA et la CEDEAO. Quels sont vos avantages compétitifs dans ce domaine par rapport à d’autres organismes ?

En tant qu’opérateurs, nous proposons les solutions les mieux adaptées. Le gouvernement doit prendre en compte les réalités de terrain au niveau opérationnel avant de décider de ses investissements, pour que ces derniers aient toute l’efficacité souhaitée. Nous souhaitons être force de proposition sur un plan stratégique global.

Nous souhaitons certes contribuer par nos propositions à améliorer l’environnement des affaires, mais nous sommes aussi une organisation patronale avec des sociétés et groupements professionnels membres. Ces derniers ont des préoccupations individuelles pas toujours suffisamment prises en compte. Notre rôle dépasse la seule défense des intérêts globaux de nos membres. Il consiste aussi à leur rendre des services personnalisés. Nous comptons par exemple parmi nos membres, un certain nombre d’entreprises de taille moyenne, pour lesquelles il est difficile de mettre en place une stratégie d’investissement et de développement à l’export dans la sous-région sans soutien. La tâche de notre confédération est, dans ce cadre, de mutualiser les moyens pour organiser des missions économiques dans les pays pouvant devenir des clients potentiels pour les entreprises ivoiriennes. En mutualisant cet effort sous l’égide du patronat, nous faciliterons certainement l’accès de nos membres à ces zones-là et à leurs décideurs. Nous leur permettrons d’entrer en contact rapidement avec des interlocuteurs importants. Nous devons être capables de proposer à nos entreprises membres le même modèle d’ouverture des marchés extérieurs que des acteurs étrangers ont mis en place chez nous. Dans le cadre de la formation de haut niveau à destination des cadres, les besoins des entreprises sont aussi importants. Il existe des filiales de multinationales qui peuvent, grâce au soutien de leur maison-mère, accéder facilement à ce type de formations. Mais la grande majorité des entreprises locales sont des PME qui n’ont pas les capacités financières et organisationnelles pour initier seules ce type de formation. Nous pensons de nouveau pouvoir mutualiser les moyens pour permettre au plus grand nombre d’entreprises d’avoir accès à des niveaux de formation auxquels elles n’auraient pas pu accéder individuellement. Nous avons par exemple identifié des besoins dans le secteur industriel en matière de formation technique d’ouvriers spécialisés, et travaillons à la création de centres communs de formation aux principaux métiers techniques, tels que l’électromécanique, l’électricité, la mécanique, etc. Notre objectif est de soutenir les entreprises dans le renforcement de leurs capacités. Notre tissu économique est composé essentiellement de PME. Même les grandes entreprises ivoiriennes seraient, dans d’autres pays, considérées comme des entreprises de taille moyenne. Et il existe un grand nombre de tâches que ces entreprises ne peuvent accomplir seules, une mise en commun des efforts est donc ici tout à fait pertinente. Au-delà de sa fonction syndicale qui vise la défense des intérêts du secteur privé, notre organisation patronale doit être le partenaire quotidien de ses membres, à travers des échanges et des projets communs.

Dans le cadre de la défense des intérêts de vos membres, comment favorisez-vous la participation des entreprises locales aux grands projets développés en Côte d’Ivoire par des sociétés internationales ?

C’est un sujet crucial pour le patronat ivoirien, qui doit créer les conditions favorables à l’émergence d’entreprises compétentes, de « champions nationaux ». La sous-traitance est en cela une piste importante qui nécessite une double action de notre part. Premièrement, nous devons renforcer les compétences de nos entreprises membres par une formation de haut niveau, comme nous venons de l’évoquer, et développer les capacités financières des PME pour qu’elles soient en mesure d’assurer des prestations de sous-traitance de qualité. Nous avons lancé une initiative appelée « La finance s’engage », pour mettre en relation banques et PME et inciter les banques à soutenir les entreprises de taille moyenne. Parallèlement, nous devons travailler de concert avec l’État ivoirien pour qu’un dispositif règlementaire légal soit mis en place et accompagne ce processus. Nous faisons des propositions dans ce sens, afin que le gouvernement prenne des mesures d’encouragement à la sous-traitance dans les grands marchés d’État et que notre économie soit davantage inclusive. Nous travaillons actuellement sur ces deux tableaux, en identifiant et soutenant d’une part les entreprises susceptibles de participer à des missions de sous-traitance, et d’autre part, en dialoguant avec l’État, principal donneur d’ordres sur les marchés, afin qu’un cadre légal et règlementaire soit instauré dans le sens d’un contenu local.

Revenons à la problématique de l’accès au financement pour les PME, qui touche de nombreux pays de la région. « La finance s’engage » a été lancée avec la BAD (Banque Africaine de Développement), la BCEAO (Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest) et d’autres structures financières régionales, et représente une mobilisation de 1.276 milliards de francs CFA. Pouvez-vous évoquer des exemples concrets de financement réussi de projets d’entreprises ivoiriennes ?

Nous avons lancé ce processus en novembre 2016 avec un engagement d’un an des parties prenantes. Les premières évaluations auprès des banques ne commenceront que six mois après le début de l’initiative. Donc les premiers résultats ne seront disponibles que dans deux mois. Cette évaluation vise à fournir en novembre 2017 un bilan concret des mesures réalisées grâce à cette initiative et des types de financement mis en place (à court, moyen ou long terme) et à recueillir des engagements pour 2018. Cela nous permettra d’assurer un suivi du système et d’observer de manière précise l’évolution des financements en faveur des PME. Nous travaillons, en parallèle, à la mise à niveau des PME. Les études que nous avons effectuées dans le cadre de cette initiative montrent que la plupart des PME ont abandonné l’idée de solliciter les banques pour financer leurs projets. 70% n’en font même pas la démarche. Notre rôle consiste donc à préparer ces entreprises à entrer dans une relation financière régulière avec une banque. En veillant à susciter l’engagement des banquiers d’une part et à sensibiliser les PME d’autre part, nous sommes convaincus de pouvoir améliorer le financement des entreprises ivoiriennes au cours des prochaines années.

Pour conclure, des incidents récents ont opposé des fonctionnaires à l’armée ivoirienne. Pensez-vous que ces événements ont terni l’image de la Côte d’Ivoire auprès de certains investisseurs et de la communauté internationale et, le cas échéant, quelles sont selon vous les mesures à prendre pour redonner confiance à ces derniers ?

Les événements de janvier dernier ont effectivement terni l’image de la Côte d’Ivoire sur le plan économique. Les investisseurs les ont certainement très mal perçus. Même s’il est trop tôt pour évaluer leur impact réel, ils vont sans doute coûter un point de PIB à la Côte d’Ivoire. Il faut absolument éviter que ces événements ne se reproduisent, pour maintenir le niveau de croissance économique auquel nous pouvons aspirer, car ils sont le reflet d’un environnement instable incompatible avec le développement des affaires. La Côte d’Ivoire a un besoin urgent de redorer son image. En cela, sa manière de gérer la situation et sa capacité à enrayer ces conflits et à éviter le renouvellement d’affrontements avant la fin de l’année seront décisives. Il faut montrer que la parenthèse est close et la situation sous contrôle. Si le gouvernement arrive à tenir le cap sur les six prochains mois, la tendance pourra être inversée. Il est également indispensable que toutes les parties prenantes en soient conscientes. Les revendications sociales sont légitimes, mais le climat d’instabilité né des affrontements est extrêmement préjudiciable à l’économie et au développement des affaires. Et cela touche aussi bien les investisseurs étrangers que les entreprises locales. Le maintien d’un climat serein est donc une condition sine qua non pour que la Côte d’Ivoire puisse tenir ses objectifs économiques pour 2017.

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