Côte d’Ivoire : Village des Technologies de l’Information et de la Biotechnologie
Philippe Pango partage sa vision concernant le domaine des parcs technologiques et des zones franches en Afrique, et nous parle du VITIB (Village des Technologies de l’Information et de la Biotechnologie) – Zone Franche, situé à la lisière Nord de la ville historique et balnéaire de Grand-Bassam.
Interview avec Philippe Pango, Directeur Général du VITIB (Village des Technologies de l’Information et de la Biotechnologie) – Zone Franche
Selon vous, quelles sont les tendances concernant les parcs technologiques et les zones franches en Afrique ? Comment vous situez-vous dans ce contexte ?
Notre modèle est assez unique, il est difficile de se comparer à ce qui se fait ailleurs pour savoir à quel écosystème on appartient, car nous sommes à la fois une zone franche et un parc technologique. Il y a des zones franches un peu partout en Afrique, il y a aussi quelques parcs technologiques qui se dégagent, dont de très bons dans certaines parties du monde. Nous aspirons naturellement à être l’un des meilleurs parcs technologiques en Afrique donc nous nous comparons aux meilleurs projets du genre, mais comme je le disais, étant donné que nous sommes à la fois un parc technologique et une zone franche, la comparaison est un peu difficile. Les zones franches sont en général tournées vers l’export ; la nôtre a pour ambition d’être une référence pour toute l’Afrique de l’Ouest, pour la zone UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine). Nous sommes donc du 2 en 1.
Certaines parties de l’Afrique s’en sortent assez bien : le Maghreb, l’Égypte, quelques parties du Kenya, l’Afrique du Sud bien sûr, mais en Afrique de l’Ouest, nous sommes en train de monter quelque chose d’assez unique. Nous essayons de combler un vide en termes de parcs technologiques pour offrir un cadre aux multinationales d’ici et d’ailleurs pour exporter leurs produits dans toute la sous-région à partir de la zone franche de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire. Pour répondre à votre question, c’est quelque chose de récent ; il y a tous genres de parcs technologiques, mais il n’y a pas beaucoup de vrais parcs technologiques qui répondent à des critères technologiques et architecturaux vraiment spécifiques, assez standards dans le monde entier ; nous aspirons à en être un dans la zone ouest-africaine.
Qu’attendent les investisseurs ou les entreprises-cibles d’une zone franche ou d’un parc technologique ?
Le VITIB peut être classé comme un exemple de partenaire public-privé car l’État est actionnaire côte-à-côte avec des actionnaires privés : c’est ainsi que cette entreprise hybride a pour mission de gérer la zone franche.
Typiquement, une entreprise s’installe ici, dans la zone franche, en raison du régime fiscal assez avantageux qui y est proposé. C’est ce que lui permet la loi 429-2004, qui a été votée depuis 2004, qui définit les contours de ces avantages fiscaux et douaniers : 0% d’impôts, 0% de douane, pas de TVA collectée ou reversée. Pour ce qui est du parc technologique, on s’attend à des produits et services technologiques ; dans l’espace où nous sommes, nous sommes quadrillés par un réseau de fibre optique, nous en déployons sur 180 hectares ; nous, VITIB, qui gérons l’espace, avons toutes les licences télécom à notre portée, qu’il s’agisse de VESA, de transmission par satellite ou d’ISP (internet service provider). Nous sommes le seul endroit de la Côte d’Ivoire où 3 réseaux distincts de fibre optique atterrissent dans la même salle : c’est notre data center, avec deux opérateurs différents, ce qui nous permet d’offrir un signal de très haut débit avec une certaine redondance à nos clients. Voilà ce qui est recherché. Sur cette base de réseaux télécom qui nous inondent, on peut bâtir de nombreux services difficilement réalisables en-dehors de nos murs. Nous nous appuyons sur ce cocktail de produits et services pour véritablement bâtir une ville intelligente ; c’est ce qui permet aux entreprises d’ici de réaliser rapidement et dans de meilleures conditions technologiques ce qu’elles pourraient faire difficilement en-dehors de nos murs.
Il existe d’autres endroits du monde qui proposent ce schéma ; votre attractivité vient du fait que vous proposez, sur le même territoire, deux services différents, mais j’imagine qu’elle vient aussi du pays : on ne s’installe pas en Côte d’Ivoire de la même façon qu’on s’installerait au Ghana ?
Absolument. À ce niveau-là, je pense que nous sommes gâtés d’être en Côte d’Ivoire : c’est le moteur économique de la sous-région, et cela représente donc le meilleur moyen de distribuer ses produits et services dans la sous-région : on a accès aux ports, le meilleur réseau routier de la sous-région, bref, ce qui est manufacturé ici se retrouve très rapidement près de son consommateur final, qu’il soit dans les pays environnants ou en Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire est aussi le plus gros marché de la sous-région ; les produits manufacturés dans la zone franche peuvent donc être écoulés uniquement en Côte d’Ivoire. C’est une disposition assez unique que les entreprises de la zone franche puissent écouler leurs produits dans le pays même plutôt que d’avoir à exporter forcément 100% de leur production.
La Côte d’Ivoire est en effet un grand marché sur le plan technologique, avec une population friande de technologie, à la fois TIC et biotechnologies. Nous avons donc tout intérêt à offrir ce marché-là aux entreprises qui s’installent dans notre zone franche. L’attractivité du pays, le pouvoir d’achat des Ivoiriens constituent un véritable avantage pour nous. Ce pays a décidé de ne plus compter uniquement sur l’agriculture pour son développement, ce qui avait été le cas pendant de nombreuses années, mais plutôt de miser sur son savoir-faire : celui de sa jeunesse, celui de ses entrepreneurs, qui en partenariat avec des entreprises d’ici et d’ailleurs pourront attirer des multinationales dans le pays.
Justement, il est intéressant de regarder ce qui se passe en ce moment. Pouvez-vous nous donner des exemples de réussite ?
Dans le secteur des TIC, à l’endroit où nous nous trouvons, il y a dans un rayon de 300 mètres 3 data centers : le nôtre c’est-à-dire celui du VITIB, celui du gouvernement, et celui d’une multinationale, Orange, qui est installée ici. Cela représente un véritable succès technologique et c’est dû à la nature de notre parc technologique, qui est conçu pour attirer des entreprises du secteur des TIC.
Dans le secteur des biotechnologiques, en moins d’un an, nous avons signé avec trois entreprises pharmaceutiques qui ont décidé de s’installer chez nous pour fabriquer des médicaments destinés à tous les pays de la sous-région : deux entreprises indiennes, Pharmanova et Strides Pharma et une entreprise tunisienne, SAIPH, qui a décidé de faire de la Côte d’Ivoire son premier marché d’export, où elle sort des frontières tunisiennes pour produire.
Pourquoi vous ont-ils choisi ?
Cela tient à plusieurs facteurs. Comme je l’ai dit, il y a le cadre fiscal, c’est-à-dire la zone franche, ensuite nous avons des terres : nous sommes assis sur un patrimoine de terres étatiques de plus de 600 hectares, entièrement identifiées avec des titres fonciers appartenant à l’État de Côte d’Ivoire, donc sans aucune contestation possible. Nous sommes l’agence qui gère ces terres pour le compte de l’État de Côte d’Ivoire. L’État a fait sa part en finançant la viabilisation de ces terres, leur acquisition auprès des propriétaires locaux avec la purge des droits coutumiers, et aujourd’hui ces terres constituent notre atout vendeur le plus important. Pour un industriel, il n’est pas facile de trouver quelques hectares de terre pour un projet autour d’Abidjan ; grâce à l’implication de l’État, nous sommes en mesure de leur offrir ces terres, ce qui fait une grande différence dans notre approche.
Pouvez-vous nous parler du PPP (Partenariat Public-Privé) ? Qu’est-ce que cela évoque pour vous ?
Vous savez que l’État de Côte d’Ivoire est constamment à la recherche de projets à réaliser, et donc de partenaires privés qui s’approprieraient certains projets pour les réaliser dans une formule à déterminer, en BOT (Build-Operate-Transfer). Cela se fait surtout dans le secteur du BTP. En ce qui nous concerne, le VITIB peut être classé comme un exemple de partenaire public-privé car l’État est actionnaire côte-à-côte avec des actionnaires privés : c’est ainsi que cette entreprise hybride a pour mission de gérer la zone franche. L’État, plutôt que de confier la gestion de la zone franche à une société gérée à 100% par l’État, comme cela se voit parfois, a voulu prendre des risques en investissant dans la viabilisation par exemple, tout en faisant de la place pour des privés, qui sont nombreux à partager les postes du conseil d’administration.
Pouvez-vous nous parler du programme de pépinière d’entreprises ? 40 à 50 start-ups et TPE du secteur des TIC qui seraient insérées par ce programme, avec apparemment 5 entreprises du programme déjà dans le processus de levée de fonds ?
Dans la convention qui lie le VITIB à l’État de Côte d’Ivoire, il est écrit noir sur blanc que le VITIB doit en tout temps maintenir un programme d’incubation et de formation, car partout où il y a un parc technologique, il y a un incubateur d’entreprise qui fait le lien entre les jeunes porteurs de projets et les entreprises déjà bien assises dans le parc. On a essayé la formule d’incubation pendant quelques temps ; l’année passée, une promotion d’une quinzaine d’entreprises a été formée dans divers domaines, certaines avec plus de succès que d’autres, ce qui est normal. Certaines sont aujourd’hui effectivement au stade de la levée de fonds, d’autres sont même sur le point de revenir au VITIB, non pas en tant qu’entreprise en incubation mais en tant qu’entreprise qui veut son ticket d’entrée en zone franche, sa parcelle de terrain, qui veut construire ses installations, etc. Elles ont donc vraiment eu le temps de mûrir depuis leur passage ici.
Ce programme de formation est en train de se muer en programme de pépinière de jeunes entreprises. Nous rénovons tout un espace pour en faire des bureaux à un coût moindre que celui que nous facturons aux entreprises classiques, pour donner une chance à ces jeunes entreprises de prospérer à l’intérieur de cette zone franche, qui sans cette approche demeurerait inabordable, même pour l’entreprise TIC moyenne de Côte d’Ivoire. Ce genre d’entreprise n’a peut-être pas les moyens de louer un espace de 150 m2 à 5000 francs CFA le m2 par mois, mais a besoin de partager un espace, des imprimantes, etc., avec d’autres entreprises. C’est le projet actuel, pour que les jeunes entrepreneurs des TIC puissent donner un coup d’accélération à leur entreprise. Nous croyons fortement que si nous leur créons ce cadre, les jeunes entreprises pourront fortement collaborer avec les grandes ici, et décrocher des marchés et des opportunités.
Parmi les défis présents, il y a le potentiel de rencontrer des acheteurs internationaux, qu’il s’agisse d’entreprises cibles comme HP ou Oracle, ou des partenaires, des investisseurs, qui seraient là pour apporter quelque chose à ce grand projet, que ce soit de la construction de bureaux, d’entrepôts, de partenariats financiers dans l’immobilier… Pouvez-vous développer ce point et nous dire ce que vous pouvez leur proposer ?
Je dois caricaturer un peu notre objectif : ici, nous sommes en train de sortir de terre ni plus ni moins qu’une nouvelle ville technologique, greffée au nord de la ville historique, culturelle et balnéaire de Grand-Bassam, au nord d’Abidjan. Pour cette nouvelle ville, nous recherchons deux choses : des gens pour construire la ville, mais aussi ses habitants. La cible n°1 est l’entreprise TIC ou biotech qui croit au marché ouest-africain et décide de s’installer dans notre zone franche et d’exporter ses produits manufacturés dans toute la sous-région. C’est l’entreprise typique, qui est attirée par le régime fiscal attrayant de la zone franche.
La deuxième cible est le partenaire qui vient nous accompagner dans la construction de cette ville. Il faut des locaux pour héberger toutes ces entreprises qui viennent frapper à notre porte. Aujourd’hui, si une entreprise vient nous demander un plateau pour abriter 200 ou 300 ingénieurs, nous aurons de la difficulté à le lui fournir ; nous pouvons lui donner une terre, que nous avons en abondance, mais pas de bâti. Mais toutes les entreprises ne souhaitent pas immobiliser des fonds pour de la construction sur une terre nue, d’où le besoin de partenaires financiers avec qui bâtir cette ville, dans une formule de partage de profits à discuter. Je parle réellement d’une ville : un espace où travailler, vivre et s’amuser – work, live and play, en ce sens qu’il est prévu tout un catalogue d’infrastructures pour lequel nous finalisons le plan de masse. Il y aura des immeubles de bureaux, des centres commerciaux, des zones résidentielles, des hôtels, des cinémas, des zones d’entrepôts, de logistique, etc. Tout un catalogue pour bâtir une belle ville où l’on vit, où l’on travaille, où l’on a du plaisir à travailler.
Nous recherchons donc ces deux types de partenaires : les clients, et ceux qui bâtissent l’infrastructure où seront logés les clients.
Pour quand est-ce prévu ?
C’est pour maintenant ! Nous finalisons le plan de masse de l’ensemble, donc nous avons aujourd’hui une idée assez claire des infrastructures que nous attendons, ainsi que du modèle de partenariat et de partage de profit que nous envisageons. Nous sommes prêts à enclencher des discussions avec qui que ce soit, qui prend la destination de la Côte d’Ivoire et veut investir dans l’immobilier. Je pense que nous offrons l’une des meilleures opportunités d’investissement immobilier en Côte d’Ivoire, à 15 minutes de l’aéroport international d’Abidjan, à 30 minutes du centre-ville d’Abidjan, tout à côté de la ville historique, culturelle et balnéaire de Grand-Bassam, qui a l’avantage d’être patrimoine mondial de l’UNESCO, sur le trajet entre Abidjan et Assinie, qui est notre Monaco, où tous les gens riches et célèbres ont leur résidence. Nous sommes traversés par l’autoroute Abidjan-Bassam qui vient d’être terminée ; cet espace a vraiment tous les atouts pour attirer ces partenaires que nous attendons.
Pour conclure, si nous nous projetons à moyen terme, disons dans 3 ans : que sera le parc technologique du VITIB si tout se passe comme prévu ?
Si tout se passe bien, et nous avons toutes les raisons de croire que ce sera le cas, dans 3 ans, nous aurons 10 000 personnes qui viendront travailler au quotidien sur le parc technologique. Le tiers ou le quart de nos infrastructures seront déjà bâties, notre capacité d’accueil sera multipliée par 10 par rapport à celle d’aujourd’hui, et on se rapprochera de ce rêve de transformer l’économie ivoirienne, qui jusque-là s’appuie essentiellement sur l’agriculture ; on verra graduellement les TIC émerger, et contribuer à l’émergence économique de ce pays pour devenir incontournables. C’est la volonté du Gouvernement, et nous sommes l’un des multiples outils du Ministère de l’Économie Numérique et de la Poste pour atteindre cet objectif. Nous sommes là pour apporter notre contribution à cette grande vision qui est celle de l’État de Côte d’Ivoire, en créant le cadre où s’installent les entreprises TIC et biotech. Dans 3 ans, nous espérons également contribuer fortement à l’essor de la biotechnologie. Nous sommes dans un pays qui regorge de plantes ; tout pousse ici, si vous jetez une plante par terre, elle aura poussé le lendemain. Il y a tout à faire avec cette flore incroyable que nous avons, et nous espérons que des industriels du monde entier viendront tirer avantage de notre régime fiscal pour pouvoir transformer tout cela en des produits divers.