Eau Potable en Côte d’Ivoire : Interview avec Ibrahiman Berte de l’ONEP
Ibrahiman Berte, Directeur Général de l’ONEP (Office National de l’Eau Potable), expose les problématiques liées à l’adduction en eau potable en Côte d’Ivoire et évoque les différentes missions et projets de l’ONEP afin d’en assurer l’accès à l’ensemble de la population ivoirienne.
Interview avec Ibrahiman Berte, Directeur Général de l’ONEP (Office National de l’Eau Potable)
Selon vous, quels sont les défis et les problématiques liés à l’accès à l’eau potable en Côte d’Ivoire ?
En Côte d’Ivoire, la situation s’est considérablement améliorée, particulièrement depuis 2011. Avant cette date, les déficits qui étaient constatés dans les villes étaient de l’ordre de 30% ; aujourd’hui, ils ne sont plus que de 10% grâce aux investissements massifs qui ont été réalisés, notamment sur la ville d’Abidjan, où nous avons investi quelques 200 milliards de francs CFA qui ont permis de résorber ces déficits. Notre priorité était de rétablir la continuité du service, car comme vous le savez, il n’y a rien de plus pénible que d’être privé d’eau quand on a l’habitude d’en avoir. La seconde priorité était de faire des extensions, c’est-à-dire d’équiper des zones qui n’avaient pas d’eau. Aujourd’hui, sur la ville d’Abidjan, qui est la plus grande métropole de Côte d’ivoire, les besoins sont satisfaits. Bien sûr, quelques problèmes de distribution se posent, mais en matière de production, la ville d’Abidjan est complètement couverte. En ce qui concerne les villes de l’intérieur, des investissements massifs sont également réalisés, avec plusieurs bailleurs de fonds qui ont manifesté leur volonté de faire avancer les choses. Donc, en termes de défis, nous souhaitons être mesure de fournir l’accès à l’eau potable à l’ensemble de la population ivoirienne à l’horizon 2020. Pour atteindre ces résultats, il va falloir énormément investir.
En décembre 2016, nous avons eu la chance d’assister à une conférence présidentielle, initiée et présidée par le chef de l’État lui-même, lors de laquelle on a évalué les investissements nécessaires pour couvrir les besoins en eau potable de la Côte d’Ivoire à l’horizon 2030 à 1500 milliards. Cet investissement permettra de régler les problèmes de toutes les régions du pays, de tous les départements, de tous les chefs-lieux de sous-préfecture et de manière générale, de tous les villages.
Le développement de l’eau potable se fait par étapes : l’eau potable est fortement tributaire de l’électricité. Il y a des zones qui n’ont malheureusement pas accès à l’électricité, ces zones doivent donc être alimentées en eau à partir de pompes à motricité humaine, par exemple. Ce programme inclut la réalisation de 8 000 points d’eau qu’il faut mettre en place en attendant que ces localités aient accès au courant électrique, pour qu’on puisse leur garantir la fourniture d’eau à domicile.
Voilà nos défis ; nous devons mobiliser des ressources et faire en sorte que les entreprises qui seront retenues dans le cadre de l’exécution de ces programmes puissent être performantes. Vous le savez, ces financements ne peuvent pas sortir du budget ivoirien, nous avons besoin du concours de bailleurs de fonds extérieurs. Quand ceux-ci mettent leur argent à disposition, ils imposent un certain nombre de critères : il faut notamment passer par des systèmes d’appels d’offre, ce sont des éléments qu’il faut comprendre rapidement pour que l’exécution des programmes dont on parle ne souffre pas de retards.
Le défi, c’est donc de remplir les conditions pour les bailleurs de fond ? Il faut être capable de répondre très vite, c’est bien cela ?
L’eau distribuée en Côte d’Ivoire l’est sous la norme de l’OMS, qui est assez basique. On pourrait définir un autre niveau, une qualité à l’ivoirienne, aller au-delà des exigences de l’OMS, que ce soit en termes de niveaux de matières, de DMPU, de pH, etc.
Certains bailleurs de fonds ont des exigences particulières, par exemple, demander que les projets soient réalisés par des entreprises ultra-performantes, qui aient beaucoup d’expérience, qui aient fait des lotissements de travaux à la hauteur de minimum 5 milliards de francs CFA. Parfois, ils demandent que ne soient éligibles à l’appel d’offre que les entreprises qui ont réalisé un chiffre d’affaires 2 à 3 fois supérieur au montant du projet ; donc pour pouvoir faire des travaux à hauteur de 5 milliards, il faut en avoir fait 15. Ce n’est pas toujours facile, mais ce sont des défis que nous pouvons relever. Nous devons donner l’assurance que les moyens mis à dispositions de ces entreprises sont utilisés dans les délais, de sorte à soulager les populations. Le plus difficile, c’est d’obtenir la mise à disposition des financements.
Vous travaillez avec différents bailleurs de fonds ; pouvez-vous nous donner des exemples de succès, de projets qui ont bien marché ?
Entre 2011 et 2016, nous avons investi quelques 200 milliards de francs CFA sur Abidjan, et nous pensons que nous avons fait des réalisations assez intéressantes. Cela a permis de réduire les déficits, car nous avons pu, en 4 à 5 ans, réaliser la moitié de ce qui a été réalisé en 51 ans. La Côte d’Ivoire est indépendante depuis 1960. Sur Abidjan, qui représente 70% de la production nationale d’eau potable, nous avons produit entre 1960 et 2011, 400 000 m3 par jour ; entre 2011 et 2015, 200 000 m3 par jour. En 4 ans, nous avons donc produit la moitié de ce qui a été produit en 51 ans. Les bailleurs qui nous ont permis d’atteindre ces résultats sont la Banque Islamique de Développement, l’Agence Française de Développement, Exim Bank Chine, et l’État de Côte d’Ivoire qui a fait sa part. À l’intérieur du pays, il y a également eu des réalisations achevées, avec le soutien de la Banque Mondiale, de la KfW, (banque allemande) qui est très active dans le secteur, ou encore de la BADEA (la banque de Khartoum).
Êtes-vous à la recherche d’autres bailleurs ?
La porte est ouverte. Les bailleurs dont je vous ai parlé sont des bailleurs du secteur public, ce qui signifie qu’ils prêtent directement à l’État, mais nous n’écartons pas la possibilité d’ouvrir ces besoins en financement aux bailleurs privés avec qui nous pourrions monter des projets, dans le cadre de PPP (Partenariats Public-Privé), qui permettent au bailleur de gagner de l’argent une fois qu’il est entré dans le secteur. On peut par exemple imaginer qu’un producteur d’eau arrive sur le marché, investisse, vende de l’eau et se fasse rembourser son investissement sur le prix de la vente de l’eau. Les bailleurs dont j’ai parlé tout à l’heure sont ceux avec qui nous avons l’habitude de travailler, mais nous n’excluons pas d’aller vers les bailleurs privés.
L’autre défi, c’est donc la technicité des entreprises : être capable de trouver les bonnes entreprises pour réaliser ces travaux. Pouvez-vous développer ce sujet ?
La complexité des travaux varie. Pour schématiser, dans le secteur de l’eau potable, on capte l’eau brute, on la refoule vers une station de traitement, qu’il faut donc construire, ainsi que les réservoirs de stockage, puis on fait la distribution. Le captage d’eau brute n’est pas d’une extrême technicité, mais le traitement est plus compliqué car on rentre dans un process, pour lequel on a besoin de spécialistes ; on parle tout de même de santé publique, on ne peut pas travailler avec la première personne qui s’érige en « traiteur d’eau ». En ce qui concerne la pose des canalisations, la construction des châteaux d’eau, cela peut se faire par des entreprises qui ont une technicité moindre, mais une expertise dans la réalisation de ces travaux. Pour les stations de traitement, en revanche, on a besoin de spécialistes : quand il s’agit de l’eau de surface, il faut vraiment des process de traitement complexes car nos eaux sont assez chargées en matières en suspension. Notre souhait serait donc que, dans le montage des dossiers, on puisse permettre aux entreprises ivoiriennes de participer aux projets dans les secteurs les moins complexes, la partie purement génie civil. Cela permettra de régler le problème de l’accès à l’eau potable d’une part, et d’autre part aux entreprises ivoiriennes de travailler. Il faut aller prendre l’expertise à l’extérieur quand celle-ci n’est pas disponible en Côte d’Ivoire. C’est ce que nous essayons de mettre en place avec les bailleurs de fonds, qui d’ailleurs sont d’accord avec nous ; le tout étant de les rassurer sur le fait que la multiplicité des acteurs sur un même projet ne complique pas sa réalisation. Avec une bonne coordination, en général, tout le monde y trouve son compte.
L’ONEP s’ést doté d’un laboratoire pour 1,7 milliards de francs CFA. Voulez-vous renforcer le cadre normatif autour de la qualité de l’eau ?
C’est une chose de produire de l’eau, c’en est une autre de garantir sa qualité. Le laboratoire rentre dans la partie exploitation ; entre la qualité de l’eau qui sort de la station de traitement et celle qui arrive chez l’abonné, il peut se passer des choses, notamment parce que l’eau voyage dans des canalisations. Garantir la qualité de l’eau au robinet nécessite un suivi. Le laboratoire de l’ONEP, qui vient en complément d’autres laboratoires qui existent, vient renforcer ce contrôle de la qualité. Il est doté d’un matériel très performant, puisqu’il est récent et équipé des équipements de dernière génération. Nous voulons effectivement accroître le cadre normatif. L’eau distribuée en Côte d’Ivoire l’est sous la norme de l’OMS, qui est assez basique. On pourrait définir un autre niveau, une qualité à l’ivoirienne, aller au-delà des exigences de l’OMS, que ce soit en termes de niveaux de matières, de DMPU, de pH, etc.
Quelle est votre vision à moyen terme, disons dans 3 ans ? Quelle est votre vision sur ce que sera l’ONEP et ses services ?
Sur les aspects purement terrain, nous souhaitons que l’ensemble des régions et des départements de Côte d’Ivoire aient accès à l’eau potable de manière satisfaisante. En ce qui concerne l’ONEP en tant que structure à moyen terme, nous aspirons à être capable de lever des fonds sur l’extérieur. Il faut préciser que l’ONEP a aujourd’hui une fonction de maître d’ouvrage délégué, mais n’a pas la capacité opérationnelle de lever des fonds, qui sont levés par le Ministère de l’Économie et des Finances. Mais le principe d’une structure telle que l’ONEP, c’est d’autonomiser le secteur de l’eau ; nous sommes une société de fonds, nous devons être capable de lever des fonds et de faire des investissements. Le secteur de l’eau est aujourd’hui structuré de telle sorte que, si tous les mécanismes marchent comme il faut, l’ONEP doit être capable de lever des fonds, car nous avons dans le secteur un flux financier qui, de notre point de vue, permet de faire des investissements extrêmement importants. Le fond de développement de l’eau, par exemple, doit servir à développer le secteur. Aujourd’hui, un m3 d’eau est vendu 424 francs. Sur ces 424 francs, 121 francs servent à faire des investissements. Il est vendu 200 millions de m3 par an, donc on peut penser qu’on a 24 milliards qui peuvent servir à traiter le service de la dette de manière annuelle. Les économistes nous disent que si on peut lever 20 milliards par an, on peut traiter un service de la dette d’environ 400 milliards. C’est donc l’un de nos rêves, que la structure soit autonome, qu’elle puisse lever des fonds, investir dans le secteur et rembourser la dette grâce à ces fonds.
EN SAVOIR PLUS :
SITE WEB : www.onepci.net
VIDÉOS :
• Office National de l’Eau Potable : Evaluation du Secteur de l’Eau en Côte d’Ivoire
• Ibrahiman Berte : Défis Liés au Développement de l’Eau Potable en Côte d’Ivoire
• Adduction en Eau Potable en Côte d’Ivoire : Bailleurs de Fonds et PPP
• Côte d’Ivoire : Captage, Pose de Canalisations et Construction de Châteaux d’Eau
• Laboratoire de l’ONEP : Contrôle de la Qualité de l’Eau en Côte d’Ivoire
• Vision de l’ONEP : De l’Eau Potable pour toute la Population Ivoirienne d’Ici 2020