Infrastructures Hydrauliques : Présentation du Bureau d’Etudes Cabinet Merlin
Philippe Torset dresse un panorama des activités du Cabinet Merlin, un bureau d’études d’ingénierie spécialisé dans le domaine des infrastructures hydrauliques. Il partage également son évaluation des secteurs de l’eau potable et de l’assainissement en Côte d’Ivoire et en Afrique de l’Ouest de façon générale.
Interview avec Philippe Torset, Directeur de la Succursale Cabinet Merlin en Côte d’Ivoire et Chef de Projet Infrastructures Hydrauliques
Pourriez-vous tout d’abord nous décrire le secteur, ainsi que votre activité en Afrique de l’Ouest ?
Le Cabinet Merlin est un bureau d’études d’ingénierie dans le domaine des infrastructures, qui intervient en Afrique essentiellement au niveau de l’eau et de l’assainissement, pour des clients publics principalement : les Offices Nationaux de l’Eau et de l’Assainissement, ou les Ministères, ainsi que les exploitants de réseaux d’eau ou d’assainissement. Nous faisons toutes sortes de prestations d’ingénierie, depuis l’audit de projet, l’étude de faisabilité, jusqu’aux études de conception, au contrôle des travaux et même au contrôle de l’exploitation quand c’est demandé.
Comment évaluez-vous le secteur en Afrique de l’Ouest ?
En Afrique de l’Ouest, notre ambition est de développer des projets structurants. Nous ne voulons pas concurrencer les bureaux locaux en faisant de la maîtrise d’œuvre, en surveillant la pose de tuyaux par exemple. Les compétences locales existent.
Les deux secteurs, eau potable et assainissement, sont très différents en Afrique de l’Ouest. Le secteur de l’eau potable est bien développé, avec de gros besoins qui ne sont pas encore pourvus, puisqu’il y a des infrastructures importantes en cours d’étude ou de construction, que ce soit au Sénégal, au Mali ou en Côte d’Ivoire. Le secteur est donc bien développé, les gens ont de l’eau, même s’ils n’en ont pas assez par endroits. Le secteur de l’assainissement est en revanche complètement sous-développé. Il existe très peu d’infrastructures de collecte, presque pas d’infrastructures de traitement, et donc une situation sanitaire préoccupante dans les grandes villes. À Abidjan par exemple, la lagune Ebrié est très polluée par les eaux usées qui se déversent sans traitement dans la lagune depuis de nombreuses années.
Dans d’autres villes, par exemple dans les terres, au Sahel, on n’a pratiquement pas de réseau d’eaux usées. Les gens sont donc assainis en individuel, au moyen de fosses septiques ou de fosses toutes eaux, et les eaux s’infiltrent dans le sol et polluent la nappe au fil des années.
Les États se sont concentrés sur le développement de l’eau potable, pour que les gens puissent boire, mais aujourd’hui, au vu des problèmes sanitaires et environnementaux auxquels font face les grandes villes, les financements se développent sur la partie assainissement. Le secteur devrait donc connaître un développement important dans les années à venir.
Quels sont les acteurs du secteur ? Grands groupes internationaux, bureaux d’étude, acteurs locaux ?
Dans le domaine de l’eau, il y a les acteurs nationaux (Ministères et Offices de l’Eau) qui sont chargés de coordonner les investissements dans le secteur et de contrôler l’exploitation, voire d’exploiter eux-mêmes dans certains pays (parfois c’est une société d’État qui s’en charge, parfois c’est confié à une entreprise privée). Ensuite, les autres grands acteurs sont les financeurs, les bailleurs de fonds : la Banque Mondiale, l’AFD, l’Union Européenne prêtent beaucoup d’argent dans le secteur pour permettre de développer l’investissement et d’avoir une exploitation rationnelle. Il y a également bien sûr les entreprises de construction qui sont, pour les infrastructures de réseaux, principalement des entreprises locales : soit des filiales locales d’entreprises européennes, soit des entreprises locales qui ont au cours des années développé leurs compétences. Enfin les bureaux d’études, pour lesquels la France est bien représentée, notamment en Afrique de l’Ouest. Les principaux acteurs sont présents.
Est-ce un secteur très concurrentiel ?
Dans le domaine des bureaux d’études, oui : tous les bureaux d’études français sont présents, plus des bureaux d’études allemands, maghrébins (tunisiens et marocains), et des bureaux d’études locaux, d’Afrique de l’Ouest, du Sénégal ou de Côte d’Ivoire, qui ont acquis des compétences et se présentent aujourd’hui sur les mêmes marchés que nous, le marché d’infrastructures simples.
Quel est l’avantage concurrentiel de votre cabinet ?
Le secteur de l’assainissement se développant dans les grandes villes, on va devoir passer d’infrastructures de collecte à des infrastructures de traitement : des stations de traitement des eaux usées, qui sont des installations industrielles très complexes qui demandent des capacités que n’ont pas encore les bureaux d’étude locaux. Les bureaux d’étude français sont donc bien placés sur ce secteur, d’abord parce qu’ils ont en France des installations sur lesquelles ils ont travaillé avec des entreprises de qualité, ce qui leur a permis d’acquérir un savoir-faire (les grands traiteurs d’eau mondiaux sont notamment français) ; les bureaux d’étude français sont donc très bien référencés ; c’est pour nous l’un des secteurs porteurs dans les années qui viennent, à condition que les financements suivent, ce qui implique que les acteurs nationaux soient capables de monter des projets, des cahiers des charges et d’acquérir les financements.
Justement, sur cet aspect, quel est votre modus operandi ? Répondez-vous à des appels d’offre ? Comment travaillez-vous avec les Gouvernements, avec les bailleurs de fonds, les sociétés d’État, les entreprises de construction, etc. ?
Le cabinet Merlin travaille principalement sur appel d’offre pour des projets financés par des bailleurs de fonds. Il faut donc connaître les projets qui vont sortir dans les années à venir ; nous sommes pour cela bien placés, car nous avons fait dans les grandes capitales d’Afrique de l’Ouest beaucoup d’études de schémas directeurs (celui de Bamako, de Ouagadougou, de Dakar) ; ce schéma directeur définit les infrastructures à construire pour les 20 ou 25 prochaines années : nous connaissons donc déjà les projets qui vont sortir. De même en assainissement, les schémas directeurs d’Abidjan, de Dakar, de Djibouti nous permettre de savoir à l’avance ce qui va sortir, ce qui sera financé dans les 20 prochaines années par les bailleurs et par les États.
Ensuite, il faut répondre aux appels d’offre avec une offre technique et économique concurrentielle, puisqu’en tant que bureau technique, nous sommes en général jugés sur les deux volets : technique et financier. C’est le volet technique qui est prépondérant, d’où l’intérêt d’être à la pointe dans les procédés et les procédures de traitement et les méthodes de réalisation, pour montrer que nous sommes les plus à même de prendre en compte à la fois les spécificités techniques et les spécificités locales du pays ou de la ville.
Comment réussissez-vous à rester à la pointe ?
Il faut évoluer sans cesse, apprendre des projets précédents. La première fois que nous avons travaillé en Afrique, il y a 20 ou 25 ans, nous avons dû apprendre. À chaque fois que nous arrivons dans un pays, il faut en apprendre les spécificités. Depuis le temps que nous travaillons en Afrique, nous sommes maintenant bien au fait des spécificités locales, des grandes villes africaines notamment. Nous savons quelles vont être les difficultés de l’étude, les points sur lesquels il faudra insister dès le départ pour pouvoir avoir les réponses en temps utile pour le client. La méthode de travail est également importante : il faut décider si on met en place une équipe locale, et si oui, si elle se compose de profils nationaux, régionaux, d’experts européens. Pour chaque poste, on doit évaluer la bonne personne et la bonne organisation à mettre en place. C’est le cœur de notre métier et de notre expérience. C’est l’adaptation au marché local qui est notre avantage concurrentiel : nous sommes en mesure de mettre les bons experts, les bons profils et la bonne organisation en place, pour ne pas perdre de temps ou d’argent.
Pouvez-vous nous donner des exemples de projets structurants, ici en Côte d’Ivoire, et plus généralement en Afrique de l’Ouest ?
Les schémas directeurs, d’eau potable ou d’eaux usées, exécutés dans toutes les grandes capitales francophones, que j’ai évoqués précédemment, en sont de bons exemples. Un schéma directeur est une étude qui définit pour les 25 ou 30 prochaines années les infrastructures à mettre en place pour répondre à l’augmentation de la population, de la consommation en eau et des rejets d’eaux usées. Cela demande une bonne connaissance de la ville, ce qui implique généralement un an d’enquête pour récupérer les données existantes, évaluer en fonction de l’urbanisme ce que sera la ville dans 30 ans : où seront les populations, les infrastructures, etc. Nous devons donc évaluer les infrastructures à mettre en place aussi bien pour la collecte (tuyaux, canaux), que pour les stations d’épuration qui traitent les eaux et évitent la pollution des milieux naturels, qui est particulièrement forte dans les grandes villes. Sur Abidjan, nous finissons actuellement pour le compte du Ministère de la Construction le schéma directeur d’eaux usées et de drainage. On a sur placé une carte les principales infrastructures à construire d’ici 2035, pour éviter ou du moins diminuer les inondations et leurs conséquences catastrophiques, capter la pollution au plus près grâce à des structures de collecte, développer l’assainissement autonome dans les endroits où il ne sera pas rentable de mettre des tuyaux, et construire 5 à 7 stations d’épuration sur le district, pour éviter de rejeter des eaux polluées dans la lagune ou dans l’océan. C’est une étude qui dure depuis deux ans et demi, qui est en cours d’achèvement. Elle permettra d’avoir des programmes de travaux garants d’une bonne cohérence, d’un bon phasage pour respecter l’environnement et desservir les habitants. Nous avons fait de même à Bamako avec le schéma directeur d’eau potable, et nous sommes en train de contrôler les travaux de construction de la plus grosse usine de traitement d’eau potable d’Afrique, qui fera 288 000 m3 d’eau par jour ; nous avons une équipe de 12 personnes sur place qui contrôle l’avancement des travaux, depuis la prise d’eau dans le fleuve Niger jusqu’au traitement des eaux, le pompage et le refoulement des eaux par une conduite de 1,60 m de diamètre sur 9 km, pour alimenter les installations et les réservoirs existants. C’est le genre de projets structurants sur lesquels nous sommes bien outillés, nous connaissons bien les spécificités et l’organisation à mettre en place.
Dans ce genre de projet, il y a la partie étude puis la partie développement, mise en place. Gérez-vous également cette partie-là ?
En général, entre le schéma directeur qui est l’étude structurante, et la mise en place des projets, les marchés sont différents. Le schéma directeur est approuvé par l’État, puis, vu les budgets colossaux dont on parle, différents marchés d’études sont lancés. Il y a un phasage, en fonction du développement des quartiers, des infrastructures, pour aller là où sont les habitants et là où est la pollution, de façon à être au plus près soit des zones les plus densément peuplées, qui polluent le plus, soit dans les milieux les plus vulnérables. Il y a des marchés d’études et de travaux qui sont lancés phase par phase, avec des appels d’offre spécifiques, où on demande à un bureau d’étude de faire les études détaillées, de définir les travaux. Ensuite le Ministère lance l’appel d’offre de travaux, le bureau d’études analyse les offres, aide le maître d’ouvrage à choisir la meilleure offre, et enfin, soit ce bureau d’études, soit un autre, suit et contrôle les travaux pour s’assurer qu’ils soient conformes aux spécifications du marché. C’est fait par phases de 3 ou 5 ans, en fonction des bailleurs de fonds et des agences d’exécution.
Vous revendiquez votre indépendance par rapport aux grands groupes ; comment garantissez-vous cette indépendance ?
Effectivement le cabinet Merlin est un groupe familial qui appartient à Monsieur Merlin et qui existe depuis 1923 : nous fêterons bientôt notre 100ème anniversaire. La famille Merlin est une famille d’industriels qui possède cette PME et ne s’est alliée à aucun grand industriel. Comme vous le savez, en France, il existe de grands groupes dans le traitement des eaux. Ils aiment bien avoir leur bureau d’études, c’est le cas pour certains de nos concurrents qui sont adossés à de grands groupes. D’autres de nos concurrents sont adossés à de grands groupes de BTP, de construction, nous, nous ne sommes adossés à personne. Cela nous garantit notre indépendance, ce qui est apprécié en France par les agences de l’eau, qui aiment le fait d’avoir un groupe indépendant pour évaluer la qualité d’une station d’épuration, d’un projet ou d’une exploitation par exemple. C’est un bon argument en France. À l’étranger, c’est également un bon argument vis-à-vis des bailleurs de fonds, puisqu’en général ils examinent notre rapport d’analyse des offres et valident (« non-objection ») en donnant leur accord au maître d’ouvrage, le Ministère ou l’agence d’exécution, pour choisir telle entreprise pour tel marché, et en acceptant de financer. Un bureau d’étude indépendant, comme nous, est la garantie d’un bon investissement, et d’une bonne exploitabilité des ouvrages.
Comment voyez-vous le cabinet Merlin dans 3 ou 5 ans ? Quelle est votre ambition ?
En Afrique de l’Ouest, notre ambition est de développer des projets structurants. Nous ne voulons pas concurrencer les bureaux locaux en faisant de la maîtrise d’œuvre, en surveillant la pose de tuyaux par exemple. Les compétences locales existent.
Mais pour les grands projets structurants, c’est autre chose. Actuellement, nous sommes en train de faire une étude au Sénégal pour la station de traitement du lac de Guiers jusqu’à Dakar ; avec une station de 100 000 m3 par jour, et 200 km de tuyaux d’1,50 m de diamètre. Il s’agit là d’un projet structurant, pour lequel les compétences locales ne sont pas suffisantes. C’est sur ce genre de projets que nous voulons travailler, pour apporter notre expertise. En Côte d’Ivoire, nous travaillons également sur un programme d’assainissement assez important, et nous travaillons à Bamako sur la plus grosse usine en construction d’Afrique de l’Ouest, c’est cela que nous voulons faire dans les prochaines années.
Cela passera peut-être par le développement de filiales ; nous sommes là en Afrique de l’Ouest : au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Mali, et nous y resterons tant qu’il y aura des projets structurants, c’est-à-dire au moins sur les 50 ans qui viennent. Nous pouvons réellement valoriser notre expertise technique : c’est vrai qu’en station de traitement des eaux, nous sommes réellement l’un des acteurs les plus performants.
D’autres sujets que vous souhaiteriez évoquer ?
Oui, le secteur de l’énergie et de la biomasse. Il y a de nombreuses perspectives en termes de biomasse et d’énergies renouvelables sur lesquelles le cabinet Merlin est en mesure de se placer. De plus en plus de projets voient le jour en Afrique de l’Ouest pour valoriser des déchets agricoles, cacao et riz par exemple.
Les industriels s’en débarrassent tant bien que mal, ou ne s’en préoccupent pas, ou encore les vendent pour fabriquer des aliments.
Nous sommes en mesure de monter des projets pour valoriser ces déchets pour en faire de l’énergie, et donc à la fois diminuer la consommation électrique à base d’hydrocarbures et de valoriser des déchets. Ce sont des lignes de crédit qui se développent en Afrique. Nous avons de grandes compétences en la matière, puisqu’en France nous avons fait de grosses unités de valorisation énergétique de déchets de bois. Je pense qu’il s’agit d’un secteur en développement ; en Côte d’Ivoire il y a déjà plusieurs projets qui sont sortis, nous avons fait au Bénin une étude de faisabilité dans ce domaine, ainsi qu’au Sénégal. Nous avons une expertise à apporter en la matière, et il s’agit encore d’un secteur peu concurrentiel. Les États ont compris qu’il fallait subventionner ces projets : ils ont pris des engagements pour un certain pourcentage d’énergies renouvelables dans leur mix énergétique. Ils n’arriveront pas seuls à monter des projets d’énergie renouvelable, les industriels doivent s’y mettre. Même si l’État finance des projets dans le domaine du photovoltaïque ou du solaire, il ne pourra pas valoriser les déchets industriels ; il peut aider l’industriel à valoriser ses déchets, afin d’augmenter la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique, et pour cela il faut qu’il bonifie le tarif d’achat d’électricité. C’est en cours dans plusieurs pays : les agences de régulation de l’énergie ont enfin compris qu’il fallait acheter l’électricité à un prix plus cher que son coût réel, de manière à diminuer la facture énergétique, et à ce que cela soit bénéfique pour le pays. Des projets vont donc se développer, et ce secteur va devenir un secteur d’avenir.