Bourse Régionale des Valeurs Mobilières : Une Bourse Africaine en Plein Essor
Edoh Kossi Amenounve analyse le développement et la croissance de la Côte d’Ivoire et de la région UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine), ainsi que leurs impacts sur la performance de la BRVM. Il dresse également un bilan des 2 dernières années et évoque les perspectives à venir.
Interview avec Edoh Kossi Amenounve, Directeur Général de la BRVM (Bourse Régionale des Valeurs Mobilières)
La croissance de l’UEMOA a été bénéfique pour vous ces dernières années, notamment dans certains pays comme la Côte d’Ivoire. Comment pourrait-on analyser le développement de la sous-région?
D’abord, je dirais que depuis quelques années, la sous-région ouest africaine connait une croissance relativement importante. Et celle-ci a atteint 7% l’année dernière, dans une conjoncture ou les autres pays africains, les autres régions et le monde entier, ont subi les effets non seulement de la baisse drastique du cours du baril de pétrole, mais aussi du ralentissement de l’économie chinoise et de la remontée du dollar. Cette croissance peut être perçue comme une résilience à ces facteurs exogènes, et celle-ci s’explique par le fait que nous avons mis l’accent sur un certain nombre de facteurs de développement, comme des investissements dans les infrastructures qui sont réalisés dans plusieurs pays et l’accélération de la consommation par la classe moyenne. Tous ces facteurs ont évidemment été bénéfiques à notre région. Il faut dire aussi que nous ne sommes pas des pays producteurs de pétrole, nous n’avons donc pas subi les conséquences de la baisse drastique du prix du baril de pétrole. Bien que nos économies soient extrêmement liées à l’économie chinoise, nous n’avons pas le même niveau de dépendance que des pays de l’Afrique Australe, de l’Afrique du Sud et de l’Angola. Nous avons aussi un système monétaire stable, avec la parité fixe entre le CFA et l’Euro. Tous ces facteurs ont permis d’amortir les impacts négatifs du ralentissement de l’économie mondiale. Je dirais donc que c’est une bonne nouvelle pour nous, et ce qui important, c’est de poursuivre cette croissance sur plusieurs années, pour que notre pays puisse prétendre à une émergence réelle dans les prochaines années.
Quelle est votre perspective pour 2017-2018 en ce qui concerne l’économie de ces pays-là ? Est-ce qu’elle va être affectée par la situation économique, ou va-t-elle continuer à représenter un “ilôt de développement” ?
Suivant les prévisions disponibles, cela devrait continuer. On parle d’au moins 8% de croissance en 2017. La Côte d’Ivoire va maintenir une croissance au-delà de 9% sur les prochaines années, on peut donc objectivement penser que cette situation va perdurer, et que les impacts négatifs de ralentissement au niveau mondial seront limités. Je pense que ce sont de bonnes nouvelles pour notre union. Vous savez que nos pays se sont engagés dans des programmes de développement, que ce soit en Côte d’Ivoire, au Burkina, au Sénégal, au Togo ou au Bénin, qui mettent l’accent sur les infrastructures, sur le développement du secteur privé et les partenariats entre publique et privé. Ce sont donc autant de politiques économiques vertueuses, qui de notre point de vue, si elles sont mises en œuvre, doivent forcément soutenir une croissance qui est déjà là et qui devrait s’accélérer, de manière à ce que les objectifs d’émergence soient atteints.
Parlons de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières. Comment s’est-elle comportée en 2016, dans un cadre plutôt confortable et régional ?
Nous avons examiné la possibilité de certaines mesures d’accompagnement pour préparer les PME à accéder à la cote. Nous sommes dans la phase finale de structuration de ce compartiment, et j’espère que nous allons pouvoir le lancer une fois que nous aurons toutes les autorisations requises.
En 2015, la BRVM avait déjà connu des performances exceptionnelles. Vous savez que nous avons terminé l’année 2015 comme la bourse la plus performante en Afrique, avec une progression de 17,77% de notre indice composite, ainsi que des volumes et des valeurs de transaction qui étaient fortement en hausse. Je peux vous dire que 2015 a été excellente pour la BRVM, elle est venue consolider les acquis des trois dernières années en termes de croissance et d’évolution. La BRVM évolue dans une économie régionale favorable, et il est clair que cette évolution de nos économies a bénéficié à la BRVM. Pour 2016, nous avons enregistré une baisse de nos indices, que nous lions essentiellement à la prise de bénéfices par des investisseurs qui ont, au cours des trois dernières années, atteint des niveaux de gains de capital de plus de 30% en moyenne. Il est donc tout à fait normal qu’ils pensent à prendre leurs bénéfices. Mais en ce qui concerne les autres indicateurs, les choses se passent très bien. Nous avons déjà largement dépassé le niveau de valeur de transaction de l’année dernière. Notre objectif, que nous avons fixé à 400 milliards de francs CFA, pourrait éventuellement être atteint. Nous avons également un bon écho de la part des entreprises. L’année dernière, nous avions bénéficié d’une admission à la cote en fin d’année. Cette année, nous avons effectué trois introductions en bourse, notamment celle de la SIB (Société Ivoirienne de Banque) et de Coris Bank International, et si tout se passe bien, celles-ci seront à la cote d’ici la fin de l’année. Cela constituerait une année exceptionnelle pour la BRVM : accueillir quatre nouvelles additions à sa cote ! Sachant que la moyenne africaine en termes d’admission à la cote est de deux sociétés par année, vous voyez que c’est une excellente performance pour la BRVM. Au cours de cette année, nous avons également pu admettre cinq sukuks (obligations islamiques à la cote) pour un montant qui a atteint 1,2 milliards de dollars, ce qui, du coup, a fait de la BRVM la première “place boursière islamique” du continent, puisque les deux seules expérience que nous avons en termes de cotation se trouvent au Soudan et en Tunisie, avec des niveaux relativement modestes : 30 millions de dollars au Soudan et 6,2 millions de dollars en Tunisie. Nous en sommes à 1,2 milliards de dollars, ce qui est quand même important. Troisièmement, cette année, la BRVM a intégré le MSCI Frontier Markets Index, qui est l’indice des marchés frontières. Le monde boursier est divisé en trois catégories : il y a le marché développé, et aucun pays africain ne fait partie du groupe du marché des capitaux développés. Il y a les marchés émergents, dans lesquels ne se trouvent que deux pays africains – l’Afrique du Sud et l’Egypte – et enfin les marchés frontières, où vous retrouvez six bourses africaines sur les vingt-quatre. Vous avez le Nigéria, le Maroc, la Tunisie, l’Ile Maurice, le Kenya et la BRVM. Pour nous, c’est une consécration d’intégrer ce groupe en trois ou quatre ans. Ces marchés frontières sont très suivis par les investisseurs internationaux : ils sont sur leur radar automatique puisqu’il y a un indice qui est publié chaque jour par le MSCI sur les marchés frontières africains. Notre marché va donc forcément attirer des investisseurs. C’est le rêve de beaucoup d’africains d’être au moins marché frontière, avant de prétendre être un marché émergent. Pour nous, c’est l’accomplissement le plus important de 2016, et c’est le résultat du travail que nous avons déployé au cours des quatre dernières années. C’est une très grande satisfaction de voir la BRVM arriver à ce niveau-là.
Au niveau des valeurs, Sonatel est la valeur la plus active. Quelles sont les perspectives à venir? Et pour revenir sur la liquidité, comment augmenter les liquidités de la bourse ?
C’est vrai, Sonatel a des valeurs historiquement actives à la BRVM. Mais quand on regarde l’intégration à l’indice MSCI, il n’y a pas que Sonatel. Cela montre qu’il y a d’autres valeurs qui sont à la BRVM et qui ont rempli les critères de volumes de valeurs de transaction et de liquidité. C’est extrêmement important à souligner. En termes de liquidités, c’est le gros problème de toute la bourse africaine : nous n’avons pas un niveau de liquidités suffisamment important pour garantir l’entrée et la sortie des investisseurs, mais nous faisons des efforts pour que ces liquidités s’améliorent. En ce qui concerne la BRVM, la liquidité s’améliore d’année en année : nous étions à des niveaux de 3% il y a quelques années, nous sommes aujourd’hui à au moins 5%, suivant les indicateurs que nous utilisons pour mesurer la liquidité de notre marché. Il y a donc une liquidité qui s’améliore. Il n’y pas de secrets : pour que la liquidité s’améliore sur un marché, il faut un volume de titres important qui soit disponible pour les transactions. Pour cela, il faut que le flottant des sociétés cotées soit suffisamment important pour qu’il y ait des titres dans le marché. C’est pour cette raison que nous avons pris des mesures au niveau de la BRVM pour que nos critères de flottant soient respectés par la société cotée, pour qu’il y ait suffisamment de titres. Il faut également que les valeurs soient accessibles. Il ne faut donc pas que les valeurs cotées soient chères. C’est pour cela que nous avons pris des dispositions pour inciter la société cotée à fractionner ses valeurs de manière à ce que les titres soient accessibles et que les résultats soient satisfaisants. Au moins six sociétés ont déjà fractionné au cours des deux dernières années, de manière à permettre plus de liquidités sur leurs titres. Au-delà de la question de la disponibilité des titres, il y a aussi toute la question de la disponibilité de l’information financière, qui permet aux investisseurs de formuler des anticipations sur l’évolution des cours. Là, nous avons un gros travail à faire. Nous avons déjà démarré en sensibilisant les sociétés cotées au fait qu’il est important pour elles de pouvoir diffuser plus d’informations dans le marché, et pas uniquement les informations exigées par la règlementation, mais également des informations sur leurs ambitions et leurs projets, c’est-à-dire toutes les informations que les investisseurs peuvent exploiter pour se faire une bonne idée de leurs performances futures. C’est un élément clé pour les marchés africains : faire en sorte que la disponibilité de l’information financière permette d’améliorer la liquidité. Au-delà de ce deuxième aspect, il y a toute la question de comment faire pour que la demande des titres soit aussi importante. Parce que pour qu’il y ait des liquidités, il faut qu’il y ait une certaine demande en face de l’offre. Cela suppose qu’il y ait plus d’animation, des courtiers très actifs et des investisseurs institutionnels, ou d’autres catégories d’investisseurs (y compris les particuliers) qui connaissent davantage le marché, qui aient une culture importante de la bourse, et qui investissent dans les valeurs cotées, évidemment. C’est sur cela que nous travaillons, et nous espérons que sur une période de trois à cinq ans, la liquidité de la BRVM va fortement s’améliorer. C’est l’une des conditions pour accéder à la catégorie des marchés émergents.
Est-ce que vous croyez que vous pouvez aider ces sociétés qui ne diffusent pas assez d’informations sur leurs performances? Est-ce que vous pouvez proposer des informations pour elles?
Non, on ne peut pas les proposer. Il faut que ça vienne des sociétés elles-mêmes. Mais il faut sensibiliser, et il faut leur faire voir l’intérêt pour elles de diffuser ces informations. Il faut peut-être mettre des outils à leur disposition. C’est ce que nous avons essayé de faire cette année, dans le cadre du renouvellement de notre site web. Nous avons laissé une fenêtre aux sociétés cotées pour diffuser directement certaines informations sur notre site web. Et ça peut effectivement les aider, ainsi que le marché.
Comment augmenter le nombre de sociétés cotées, et aussi adresser le segment des petites entreprises, et non pas les grandes entreprises que l’on connait ?
Pour les sociétés cotées, il y a trois choses principales. Il y a la privatisation, et heureusement, ce programme se déroule bien en Côte d’Ivoire. Grâce au programme de privatisation, nous aurons au moins deux nouvelles sociétés qui seront cotées cette année. Il y a deux ou trois autres sociétés qui sont annoncées pour l’année prochaine, dans les cadres des engagements de l’Etat Ivoirien. Les autres pays vont sans doute emboiter le pas de la Côte d’Ivoire en termes de privatisation par le marché. La deuxième chose importante, c’est la sortie des capital-investissements. Nous avons noué des partenariats avec les fonds pour les aider et échanger avec eux, de manière à ce qu’ils puissent avoir toutes les informations qui leur permettent de privilégier la sortie par les marchés de capitaux plutôt que par la revente au promoteur. C’est extrêmement important pour nous que, avec le développement du capital-investissement en Afrique, les marchés de capitaux puissent leur offrir l’opportunité de sortir de leurs investissements. C’est seulement comme ça que l’on arrive à un développement du secteur privé qui transforme vraiment les économies, parce que les fonds de capital-investissements n’ont pas la garantie de bonne sortie, ils ne trouvent pas d’intérêt à un environnement qui ne leur promet pas cette opportunité. Mais si cette opportunité existe, les sociétés investissent davantage. Tout le monde a donc à gagner dans le fait que le marché de capitaux offre les conditions favorables pour la sortie des fonds de capital-investissement. En ce qui concerne la troisième source d’admission des sociétés à la cote, ce sont les admissions volontaires. Cela se produit quand une entreprise décide elle-même de venir à la cote pour rechercher de la notoriété, pour développer ses activités ou pour passer à une autre phase de croissance. Mais cela suppose qu’il y ait une sensibilisation forte des entrepreneurs africains de notre région pour leur montrer que la bourse est l’ultime étage auquel il faut accéder pour pouvoir lancer définitivement sa société dans une phase de croissance durable. Et c’est là où l’on peut retrouver des capitaux relativement importants pour financer la croissance. Ce n’est pas facile, mais je pense qu’il y a beaucoup d’entreprises qui commencent à percevoir le cheminement normal de leur entité, et nous en sommes réjouis. Beaucoup de chefs d’entreprises nous approchent pour dire : « J’ai déjà essayé le secteur bancaire, le banquier m’accompagne sans problème. Quelques fonds de private equity sont venus me voir, maintenant, je veux penser à aller en bourse dans quelques années. » C’est positif. Si le secteur privé africain de façon générale, et si le celui de notre union pouvait avoir ce type de démarche, utiliser les instruments de financements les plus adaptés au cycle de vie de l’entreprise et savoir qu’au final, la bourse est l’opportunité qui leur est offerte pour lancer la phase de croissance la plus importante de leur société, ce serait optimal. On verra deux ou trois admissions volontaires dans les prochaines années, et j’espère que cela va servir d’exemple pour les autres sociétés. La problématique des PME perdure depuis quelques années. La bourse africaine tente d’offrir un accès aux PME, mais c’est un exercice difficile. Nous avons commencé des réflexions, nous avons effectué la référenciation adéquate, nous avons analysé l’environnement et évalué le potentiel des PME dans notre région, nous avons travaillé avec toutes les parties prenantes sur les critères qui nous semblent les plus appropriés pour pouvoir donner l’accès à ces PME, nous avons examiné la possibilité de certaines mesures d’accompagnement, et notamment d’un fond d’accompagnement pour préparer ces PME à accéder à la cote. Nous sommes dans la phase finale de structuration de ce compartiment, et j’espère que nous allons pouvoir le lancer une fois que nous aurons toutes les autorisations requises. Car nous pensons que cela peut véritablement être une solution, parmi tant d’autres évidemment, à la problématique du financement des PME dans notre région.
Et comment cela va évoluer, concrètement?
En compartiments dédiés aux PME et PMI, et à toutes les entreprises qui respecteraient les critères de ce compartiment. Il y aurait un niveau d’exigence plus faible en termes d’années d’existence, de flottants, des critères de rentabilités assouplis, autant de critères qui permettront à ces entreprises d’accéder à ce compartiment.
Vous avez également d’autres projets, pour les ressources minières notamment.
Oui, ce sont des projets que la BRVM a, et qui sont en discussion avec toutes les parties intéressées. C’est de l’innovation. Vous savez, la bourse ne peut pas rester trop longtemps sur des projets classiques. Il faut qu’il y ait des produits innovants pour permettre à la bourse de se développer. Nous avons donc identifié quelques produits innovants, sur lesquels nous travaillons, et nous sommes convaincus qu’ils vont pouvoir aider la BRVM et la sous-région à trouver des opportunités de financement plus appropriées. C’est pour cette raison que nous les avons déjà identifiés, ils font partie de notre panel de projets pour les années à venir. Toutes nos énergies vont être consacrées à ces projets pour pouvoir les réaliser sur le marché financier régional.
Qu’en est-il de votre projet d’intégration avec les autres bourses?
C’est toujours en cours. Les questions liées à l’intégration ne se règlent pas en une année. Tout le monde est persuadé que l’intégration est la voie de l’avenir. Les marchés sont trop petits, les pays représentent de “petites économies”, il faut pouvoir se mettre ensemble pour faire quelque chose qui ait une taille critique, qui puisse intéresser les investisseurs. Quand on est d’accord sur cela, on fait en sorte que cela fonctionne en préservant tout ce qu’il y a à préserver pour l’ensemble des pays. Je pense que nous sommes toujours dans cette dynamique, nous travaillons d’arrache-pied sur tout ce qui est réglementaire et technique, pour faire en sorte que cette intégration soit effective. Et je crois que c’est plutôt encourageant. Il y a actuellement deux projets phares qui sont en cours, dont l’AELP qui un projet de lien entre six ou sept bourses importantes du continent. C’est un projet intéressant. Nous sommes persuadés que nous allons résoudre un certain nombre de problèmes avec ce projet-là. D’abord, celui de la liquidité de notre marché. Car quand on a un lien entre la bourse de Johannesburg, du Nigéria, du Maroc, du Kenya, la BRVM et l’Ile Maurice, c’est une plateforme unique de cotation. Ce serait un marché d’une taille suffisante pour attirer les investisseurs, ce qui est extrêmement important. En termes de mobilisation des ressources, si nous arrivons à lier la bourse du Nigéria, du Ghana, la BRVM et le Cap Vert, la mobilisation des ressources pour le financement d’un projet intégrateur comme les infrastructures routières de la sous-région sera facilitée : ces projets pourront facilement trouver le financement dans un cadre plus global de l’Afrique de l’Ouest, en termes de mobilisation des ressources. Ce sont des choses qui sont importantes, mais aussi incontournables pour pouvoir se donner les moyens de cette émergence que nous souhaitons tant, de ce développement du continent africain que nous souhaitons tous, et je crois fondamentalement que c’est la voie à suivre.