Assurances en Côte d’Ivoire et en Zone CIMA : Interview avec Saliou Bakayoko
Saliou Bakayoko partage son évaluation du secteur de l’assurance en Côte d’Ivoire et dans la zone CIMA (Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance), et présente SUNU Assurances, un groupe africain d’assurances créé en 1998 et qui est aujourd’hui leader de l’assurance vie sur les 14 marchés de la zone CIMA.
Interview avec Saliou Bakayoko, Directeur Général de SUNU Assurances Vie Côte d’Ivoire
Comment évaluez-vous le secteur de l’assurance en Côte d’Ivoire, et même plus généralement dans les 14 pays de la CIMA (Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance) ?
Le marché de l’assurance vie en Côte d’Ivoire est le premier de la zone CIMA, avec au 31/12/2016, un chiffre d’affaires de l’ordre de 302 milliards, dont 44% pour l’assurance vie et à peu près 56% pour l’assurance non vie. Le marché est globalement animé par 32 compagnies ; parmi elles, 28 qui étaient déjà en activité et 4 nouvelles entreprises, qui ont eu l’agrément et ont démarré leurs activités en 2016. Les 302 milliards de chiffre d’affaires que j’évoquais précédemment correspondent à un taux de progression de 8,6% par rapport à 2015, dont une croissance de 12% pour l’assurance vie. C’est-à-dire que, contrairement aux autres marchés de la zone CIMA, et à l’Afrique en général (hors Afrique du Sud), nous sommes dans une dynamique où l’assurance vie est en train de rattraper l’assurance IARD (incendie, accidents et risques divers). Dans les années 2000, on constatait un taux de répartition d’environ 20% pour l’assurance vie et 70% pour l’assurance non vie. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est le seul marché de la zone, et même de l’Afrique sub-saharienne, toujours hors Afrique du Sud, où nous avons une progression de l’assurance vie qui se rapproche de l’assurance IARD, qui demande encore la maturité de l’assurance en Côte d’Ivoire.
À quoi est due cette évolution ?
Ce développement de l’assurance vie est lié à l’émergence d’une classe moyenne, qui est vraiment en train de se constituer en Côte d’Ivoire par rapport aux autres pays de la zone. Il y a aussi le fait que nous poussons aujourd’hui vers le secteur informel, vers la digitalisation, l’assurance inclusive qui se met en place. Enfin, le cadre réglementaire de la micro-assurance a amélioré les choses, de telle sorte que nous allons maintenant vers la micro-assurance, qui va beaucoup dynamiser notre activité.
En tant qu’entreprise, vous avez également une belle croissance.
Entre 2015 et 2016 nous avons connu une croissance d’environ 10% ; mais le marché de l’assurance vie quant à lui a crû de 12%. Pour nous c’est difficile, car étant de loin le premier acteur (nous sommes à 43 milliards de chiffre d’affaires, le deuxième est à 26 milliards), c’est nous qui faisons croître le marché, en quelque sorte. Il nous est donc difficile de dépasser le taux de croissance du marché lui-même, ce serait un peu comme nous demander de sauter plus haut que notre ombre… Comme c’est nous qui tirons la croissance du marché, nous sommes nécessairement toujours un peu en-deçà de son taux de croissance.
Quel est votre avantage concurrentiel par rapport à vos concurrents qui sont dynamiques et viennent essayer de vous grappiller quelques points de croissance ?
Le marché de l’assurance vie en Côte d’Ivoire est le premier de la zone CIMA, avec au 31/12/2016, un chiffre d’affaires de l’ordre de 302 milliards, dont 44% pour l’assurance vie et à peu près 56% pour l’assurance non vie. Le marché est globalement animé par 32 compagnies.
Notre avantage concurrentiel se trouve dans notre capacité d’anticipation en matière d’innovation. Nous avons été le pionnier et le leader de la banque-assurance qui aujourd’hui fournit une grosse partie du chiffre d’affaires. Nous avons un avantage concurrentiel sur le réseau individuel, nous avons vraiment un réseau très efficace par rapport à nos concurrents qui n’en ont pratiquement pas, et ce réseau individuel rapporte presque 50% de notre chiffre d’affaires. Il y a aussi la qualité de nos produits, qui fait qu’aujourd’hui nous avons sur le marché des produits que les autres ne font pas, des produits de capitalisation par exemple, comme le produit par tirage au sort, que les autres ne font pas. Ajoutons à cela les produits de contrats en unité de compte que nous avons lancés : nous ne sommes que deux sur le marché à le faire, donc c’est l’innovation en termes de produis qui fait la différence. Enfin, notre réseau de distribution, notamment la banque-assurance et le réseau particulier, le porte-à-porte, et tout récemment, le lancement de la distribution de l’assurance via le mobile.
Pourriez-vous nous décrire plus précisément le produit de capitalisation avec tirage au sort ?
Le produit de capitalisation avec tirage au sort, c’est un produit où le souscripteur épargne chaque mois un montant qui s’échelonne généralement de 10 000 à 30 000 francs CFA maximum, et chaque trimestre nous organisons un tirage au sort. Le nombre de personnes tirées au sort est fonction du nombre d’adhérents, à un taux d’un pour mille – donc pour mille personnes, on a un gagnant, pour deux mille, deux gagnants, etc. Et quand vous êtes tiré au sort, vous gagnez le capital qui vous était promis au terme du contrat, au bout de 15 ou 25 ans, même si vous n’avez payé que la première prime.
C’est la loterie, ça !
Oui, mais c’est accepté par le code des assurances. Nous sommes les premiers à faire ce produit à grande échelle, c’est le produit à tirage au sort, qu’on appelle en interne produit à tirage. Ce sont des produits autorisés par la réglementation.
Et les contrats en unité de compte ?
C’est un produit multi-support, l’idée est que lorsque le client paye sa prime, mettons 10 000 francs CFA, nous prenons 50% de ce montant que nous mettons dans une assurance vie classique, et le reste est confié à un gestionnaire d’actifs pour le faire fructifier, acheter des parts, des fonds communs de placement, que l’on appelle des unités de compte. Sur cette partie, l’assuré prend tout le risque seul. C’est-à-dire que si les unités de compte qui constituent les parts des fonds communs de placement montent, il a tous les intérêts au-dessus. L’assureur ne prend pas de risque avec lui. Il peut perdre en capital sur cette partie, par contre sur l’autre, il est garanti comme un contrat d’assurance avec un taux garanti d’environ 3,5% maximum. On n’a pas encore vendu ce produit en individuel, c’est-à-dire en porte-à-porte ; on le vend seulement avec la banque. Le produit s’appelle épargne active ou éco-croissance.
Vous parliez de la micro-assurance, est-ce que cela fait également partie de la microfinance ? S’agit-il du même système ?
Oui, c’est le même. Bien avant que la législation ne se penche sur le sujet (un livre du code CIMA existe depuis 2014/2015), nous avions déjà développé un département que nous appelions les canaux alternatifs. Il y a les canaux classiques, la distribution par la banque, le réseau individuel dont je vous ai parlé tout à l’heure et le corporate ; nous y avons ajouté un quatrième canal, les canaux alternatifs, qui se consacre à la distribution des assurances via les IMF (Institutions de Microfinance), les institutions de microfinance, ou via l’assurance mobile ; tout ce qui touche le client du secteur informel, nous l’avons développé. Si bien que nous sommes allés plus loin : nous sommes en train de digitaliser toutes ces opérations envers cette population-là, ce que nous appelons désormais l’assurance inclusive de manière générale, et nous avons même un partenariat avec le BIT (Bureau International du Travail) pour développer cette assurance-là. Un consultant du BIT est en ce moment chez nous, détaché, payé par le BIT bien entendu, car nous avons été sélectionnés pour ce projet à la suite d’un appel à candidature lors duquel nous avions proposé notre projet d’assurance inclusive. Celui-ci avait été retenu pour l’Afrique francophone – nous sommes la seule compagnie retenue pour le développement de l’assurance inclusive avec le BIT. Nous sommes encore très investis dans le développement de la micro-assurance, qui représente environ 2% de notre chiffre d’affaires, mais au vu de tout ce que nous sommes en train de développer, peut-être qu’un jour, ce sera la première part de notre chiffre d’affaires. Nous avons beaucoup d’ambition à ce niveau.
Allez-vous tout de même continuer à développer la part de la banque-assurance, des entreprises… ?
Oui, bien sûr. Tout en axant notre stratégie de digitalisation sur la micro-assurance, nous allons l’étendre à l’ensemble de nos produits. La banque-assurance restera quelque chose d’important dans notre portefeuille ; nous n’allons pas nous détourner des produits classiques. Mais l’objectif à moyen terme reste la digitalisation : il faut porter notre métier sur les nouvelles technologies, notamment l’assurance mobile.
Disposez-vous d’exemples de réussites ailleurs, sur d’autres pays ? Qu’est-ce que les gens vont pouvoir faire ?
L’assurance classique, qu’est-ce que c’est ? Quelqu’un veut faire un rachat, ou disons, changer un bénéficiaire. Que lui demande-t-on ? Écrire un courrier, déposer le nom ; s’il veut récupérer son épargne, il est obligé d’attendre ici à la caisse, ou qu’on lui fasse un virement sur son compte à la banque. Pour nous, dans l’assurance de demain, le client n’aura plus à se déplacer. Il pourra rester chez lui. S’il veut faire un avenant sur son contrat, soit il nous envoie un SMS à partir de son mobile, soit, s’il a un smartphone, il télécharge notre application et fait sa demande, de rachat par exemple. Nous traitons cette demande, et lui demandons à la fin du processus où il veut être payé : compte mobile, banque, virement, en espèces, etc. C’est la digitalisation de toute la chaîne de valeur de l’assurance que nous voulons mettre en place, car pour nous c’est le futur de l’assurance. Je dis à mes collaborateurs qu’avant l’avènement de l’informatique, on travaillait à la main ; ils ne comprennent pas. Mais dans 5 ou 10 ans, ce sera la même chose : on ne comprendra pas qu’avant, il fallait que le client vienne déposer une demande de rachat. C’est ça, l’assurance de demain ; c’est vers là qu’il faut aller.
Quelles sont les défis que doivent relever les assureurs en Côte d’Ivoire ? Existe-t-il des spécificités liées au pays ou au secteur ?
Pour moi, c’est le relèvement du taux de pénétration de l’assurance, mais cela doit passer par l’atteinte des populations du secteur informel. C’est LE grand défi de l’assurance en Côte d’Ivoire. Cela va passer par la digitalisation. En effet, la difficulté que nous avions jusqu’à présent, c’était le recouvrement de la prime. Avec les services financiers via le mobile, aujourd’hui vous pouvez récolter votre prime 24h/24. C’est vraiment formidable. Nous avons tenté l’expérience avec un des opérateurs téléphoniques locaux, essai qui a donné des résultats probants puisque nous avons atteint 100 000 clients – c’est plus que le portefeuille de certaines compagnies locales. Le plus intéressant, c’est qu’il s’agit principalement de gens qui n’avaient jamais eu de contact avec l’assurance. Vous comprenez donc que c’est un marché énorme.
Mais on parle tout de même de petites sommes.
Oui, bien sûr. Je vous donne l’exemple du contrat qu’on a avec l’opérateur de téléphonie mobile, la prime va de 2 500 francs CFA à un maximum de 10 000 francs CFA ; mais la masse fait que le montant total grimpe vite. En termes d’émissions, aujourd’hui (les encaissements ne suivent pas toujours), nous sommes à peu près à 1,3 milliard. Et nous n’avons pas encore touché le millième du marché… Je vous donne un exemple : l’opérateur de téléphonie mobile avec lequel nous travaillons a environ 5 millions d’adhérents ; nous avons passé un contrat avec 100 000 d’entre eux. On est loin d’avoir touché tous les abonnés de l’opérateur. Mais avec tout ce que nous sommes en train de faire pour aller vers la digitalisation complète de toutes les opérations, on peut envisager 10% d’entre eux ; cela fait déjà 500 000 clients. C’est énorme – c’est environ notre portefeuille actuel.
Concernant votre développement en tant que tel, êtes-vous intéressé par des investisseurs, des partenaires, qu’ils soient techniques ou financiers ?
En ce qui concerne les partenaires ou l’association avec des investisseurs, c’est du ressort de la holding. Elle se développe, nous sommes en train de nous installer en RDC, en Éthiopie, au Nigéria, nous sommes déjà au Ghana et au Libéria. Mais tout ce développement, toute la recherche de financement, le choix des partenaires, sont vraiment portés par le groupe ; nous pouvons participer mais la politique ne dépend pas de nous.
Pouvez-vous nous donner une idée des priorités du moment ?
Nous voulons accroître notre leadership. Cela passe par le maintien d’une croissance continue de plus de 10% par an sur les 3 ans à venir, comme précisé dans notre plan stratégique que nous avons élaboré pour 2017, 2018 et 2019 ; et avoir un retour sur investissement supérieur à 20%, tout cela porté par la digitalisation et le développement de l’assurance inclusive.
Pour conclure, je voudrais parler du prix que vous avez reçu de la FANAF. Comment reçoit-on un tel prix ?
C’est un prix qui a été institué par la FANAF, nommé d’après Jean-Julien Codjovi, qui était une grande personnalité du monde de l’assurance et qui est décédé à la suite d’un accident d’avion. L’objectif du prix est de récompenser toutes les initiatives qui peuvent contribuer au développement de l’assurance dans notre zone, sur le plan économique, financier, technique, etc. Et chaque année, à l’occasion de l’assemblé générale, le prix est attribué de façon publique par un jury constitué d’éminentes personnalités du monde des assurances, généralement à la retraite, qui reçoivent le manuscrit, environ 4 à 5 mois avant l’assemblée générale. C’est comme ça que j’avais soumis mon manuscrit, en octobre 2015. Heureusement pour moi, il a été retenu ; il porte sur les aspects techniques de l’assurance vie, le titre est « Fonctionnement technique et actuaire de l’assurance vie », qui a obtenu le prix 2016. J’ai proposé mon manuscrit à un éditeur qui a édité le livre, qui est aujourd’hui disponible sur le marché et se vend bien.
En conclusion, malgré quelques soubresauts, liés à la situation globale du pays, nous pensons que l’activité économique va bien se porter dans les années à venir, ce qui va favoriser le développement de l’assurance vie. Nous y croyons et nous pensons que nous allons maintenir notre leadership, et même l’accroître avec tout ce que nous sommes en train de développer.