Ophtalmologie en Côte d’Ivoire : Interview avec le Dr Paule Folquet du COHT
Paule Folquet partage son évaluation du domaine de l’ophtalmologie en Côte d’Ivoire, et présente ses activités au niveau du Centre d’Ophtalmologie Hi-Tech (COHT) situé à Abidjan. Elle évoque également ses projets futurs et partage sa vision du secteur pour les prochaines années.
Interview avec le Dr Paule Folquet, Ophtalmologue au Centre d’Ophtalmologie Hi-Tech (COHT)
Pouvez-vous nous parler de votre domaine d’activité, l’ophtalmologie, en Côte d’Ivoire ?
Au sens absolu, l’ophtalmologie est une science médicale qui s’occupe spécialement de l’œil. Sinon, c’est la discipline qui regroupe toutes les pathologies avec le voir devant. C’est-à-dire, les objectifs, au sens propre et figuré. Nous savons que la vue, c’est la vie et que l’œil est un organe vraiment tout petit, mais tellement grand pour le futur et dans la vie de tous les jours. C’est peut-être pour cela que je m’y suis intéressée. Je pense que dans le domaine médical, l’ophtalmologie est trop souvent relayée à l’arrière-plan. On a toujours envie d’être chirurgien ou cardiologue, mais l’ophtalmologie est la base de tout.
En Côte d’Ivoire, de plus en plus de professionnels ophtalmologues ont ouvert des annexes. Par le passé, les ophtalmologues se concentraient sur Abidjan. Aujourd’hui, nous avons commencé à décentraliser petit à petit, à faire des campagnes de sensibilisation, et nos dirigeants ont compris qu’il fallait ouvrir des centres ailleurs. Maintenant, on tient beaucoup plus compte de cette discipline au niveau politique, parce que, qu’on se trouve à Korhogo, à Bouaké, à Yamoussoukro ou à Abidjan, on peut avoir accès à un ophtalmologue. C’est une avancée majeure depuis ces 20 dernières années, mais il reste encore beaucoup à faire.
Justement, qu’y a-t-il à faire ?
Le cabinet offre d’abord un moyen de diagnostic, c’est-à-dire que nous sommes aujourd’hui capables de déceler n’importe quelle pathologie ophtalmologique.
Pour résumer, il faut sensibiliser. La sensibilisation commence à tous les niveaux : du petit enfant de 2 ans au grand-père de 70, 80, 90 ans. Aujourd’hui, grâce à la sensibilisation, on a remarqué que les échecs scolaires débutaient justement par une petite pathologie ophtalmologique. On le découvre par le dépistage. Donc, si nous pouvons apporter notre pierre à l’édifice de l’avenir de ce pays, il faut d’abord dépister. Que l’on devienne cadre, directeur de société ou ministre, sans yeux, on ne peut rien faire. Le savoir commence par voir, c’est pourquoi il faut dépister, sensibiliser, diagnostiquer, traiter. Quant à moi, je me bas à mon humble niveau pour accéder à ces quatre étapes.
Quels sont les premiers combats à mener avec les moyens du bord ?
Sur le plan familial, il faut s’observer. Un parent doit observer comment évolue son enfant. Si vous voyez le petit se frotter les yeux, avancer, reculer, cela doit interpeller. Les enseignants nous aident beaucoup. Lorsqu’ils sont en classe et qu’ils donnent des directives que l’enfant n’arrive pas à suivre alors qu’il entend et qu’il parle, il faut tout de suite penser au problème ophtalmologique. Ensuite, dans la vie de tous les jours, en entreprise. Comment avoir un bon rendement si celui qui exécute vos tâches ne voit pas ? De même pour le chauffeur. On est toujours conduit par des gens sans connaitre la qualité de leur appareil visuel. Nos secrétaires, les employés de maison. C’est tout le quotidien. D’où l’importance de l’ophtalmologie. Donc, juste par un regard, une attention, on arrive à dépister.
Quelle est votre évaluation du secteur ?
Malgré les petits problèmes politico-politiciens, nous avons de bons formateurs. Pour prendre l’exemple de l’ophtalmologie, le diplôme nécessite quatre années d’étude après l’obtention du diplôme de médecin généraliste. La cinquième année est normalement consacrée au mémoire. Nous sommes très limités sur le plan matériel, et sans appareils, on ne peut normalement accéder à l’œil. Par contre, on peut comprendre, on peut savoir, on peut deviner ce qu’a la personne en face de nous, et on peut la guérir.
Il y a dix ans, pour un décollement de rétine on disait : non, ce n’est pas possible à régler, parce qu’ici nous n’avions pas les moyens. Combien de gens mourraient aveugles pour une simple petite extraction de la cataracte ? Le risque zéro n’existe pas, il est vrai, mais sur 100% des cataractes, 99% s’en sortent. Alors, pourquoi ne pas développer cela ? La première cause de cécité en Côte d’Ivoire est la cataracte. Dépister avant qu’elle ne devienne toute blanche aurait été l’idéal, mais malheureusement, cela évolue avec les cellules de l’être humain et donc du vieillissement, mais on peut l’extraire avant de devenir aveugle. Donc, on gagne encore en rendement.
Le glaucome. C’est une pathologie de santé publique. C’est une maladie qui évolue sournoisement. On voit très bien et puis, un matin, c’est le trou noir. Imaginez un directeur de société, un banquier, ceux-là mêmes qui participent à l’économie du pays. Et pourquoi ne tout simplement pas faire une visite ophtalmologique ? Je donne tous ces détails pour montrer l’importance de la chaine de développement d’un pays. Il n’y a pas que le transit, la banque, l’économie, etc. Il faut commencer par la base : le médical.
Dans les pays européens, on investit dans le médical. On investit dans tous les domaines qui permettent d’être performants. Je me suis toujours battue. J’ai fait ma dernière année de spécialité en Europe. J’ai eu des postes dans tous les hôpitaux où j’ai été. J’aurais pu y rester, mais je me suis dit : mon travail n’est pas là-bas. Ils ont déjà tout. Donc, je suis rentrée dans le but d’apporter ma petite pièce à l’édifice ivoirien, voire même africain. Il n’y a pas dix angiographies numérisées dans la sous-région. Il faut donc que nous puissions ouvrir le cap pour être traités, ici en Afrique.
Qu’est-ce que vous amenez, ici, justement ?
Le cabinet offre d’abord un moyen de diagnostic, c’est-à-dire que nous sommes aujourd’hui capables de déceler n’importe quelle pathologie ophtalmologique. Même si nous devons procéder à des explorations fonctionnelles d’assurance, ou de certitude, nous devons quand même avoir des tiroirs par rapport à ce que nous recherchons. Et je pense qu’en Côte d’Ivoire (en tout cas, moi et les miens), nous sommes capables de détecter n’importe quelle pathologie ophtalmologique.
Parce que vous avez du matériel au même niveau qu’en Europe ?
Tout à fait. C’était dur au départ. Je me suis battue, mais quelques banques ont compris, m’ont accompagnée, ont investi et puis voilà… Nous avons pu obtenir le maximum. Mais comme il s’agit d’une science qui évolue et que pour être à la pointe de la technologie, nous sommes toujours obligés de nous mettre à niveau, il faut toujours réinvestir. D’où le hic. Et il s’agit là de mon futur projet. Mais comment faire pour y accéder ? Qui voir ? Qui peut aider ?
Quel est ce projet ?
À moyen terme, c’est d’agrandir ce centre. D’abord, avoir une deuxième salle de consultation, car nous sommes débordés. Je pense que la demande existe dans n’importe quel cabinet en Côte d’Ivoire. Ensuite, renforcer le matériel de pointe, comme le laser et l’angiographie. Aujourd’hui, on fait ce qu’on appelle l’OCT (Optical Coherence Tomography), c’est un genre de scanner. Sans dilatation, on gagne du temps, donc nous allons directement dans les cellules rétiniennes et nous gagnons du temps dans les diagnostics. Et ensuite, la chirurgie. Je considère qu’un bon ophtalmologue ne peut pas se limiter au diagnostic. Il faut qu’il traite, pour sauver des yeux, pour sauver des vies. Il faut des blocs opératoires en Côte d’Ivoire. Vous savez, la concurrence est positive, car il existe tellement de disciplines en ophtalmologie qu’il faut travailler en concomitance. Il faut travailler en bonne intelligence. Donc, que je sois spécialiste de la cataracte, qu’un autre de mes collègues soit spécialiste de la rétine, un autre du glaucome, nous ne nous battrons jamais comme ophtalmologues, car la demande et le côté collégial feront de la Côte d’Ivoire une grande plateforme en matière d’ophtalmologie, en tout cas… si on se serre les coudes.
Le projet à court terme est donc d’ouvrir un bloc opératoire ?
Voilà ! Un bloc opératoire de haute technologie et accessible à tous. Il ne sert à rien d’avoir du matériel et de ne pas opérer, même les indigents. Il faut savoir s’adapter aux indigences. Tout le monde n’a pas le même pouvoir d’achat. Selon moi, un bon médecin est celui qui trouvera le juste milieu, qui sera peut-être accompagné par un plan financier, qui ne vous mettra pas le couteau sous la gorge. Il faut que la population puisse être soignée avec des soins de bonne qualité, sur une bonne plateforme, avec des moyens accessibles. Pour moi, il faut que ce soit accessible à tous.
Quel est le coût de cet investissement ?
Je vais être gentille, en jouant serré, entre 500 et 300 millions.
Vous avez un autre projet à long terme. Quel est-il ?
L’autre projet est de regrouper toutes les disciplines sur un même site. C’est-à-dire, ouvrir un grand centre médical. En Côte d’Ivoire, il existe des polycliniques. Mais j’ai une autre vision. Je donnerais à chaque médecin, la latitude de sous-louer un endroit pour sa propre discipline sans que je n’interfère. L’idée est qu’un médecin qui a toutes les compétences, mais qui n’a pas les moyens d’ouvrir sa propre clinique, puisse trouver son bonheur dans mon futur projet.
Ce n’est pas une polyclinique, mais alors comment allez-vous appeler cela ?
Il s’agira d’un centre médical où chaque médecin jouira d’une indépendance totale. Aujourd’hui, vous travaillez dans une clinique, on vous donne un pourcentage, mais vous ne devenez jamais indépendant. Il faut rendre le médecin indépendant. C’est vraiment mon projet à long terme.
Quelle est votre estimation du coût pour un investisseur qui serait intéressé par votre projet ?
Pour être objective, cela peut être quitte ou double. Si nous voulons faire quelque chose de très moderne avec des matériaux de qualité, par exemple, placer du marbre ou du granit qui dureront de dix à vingt ans, plutôt que des carreaux qui dureront un an, ça va évidemment faire grimper la facture. Si j’ai un investisseur, je pars entre deux et trois milliards. Si je ne l’ai pas, nous partirons sur quelque chose de plus raisonnable et pas forcément de plus durable, avec la moitié.
Quelle est votre vision de développement de ce domaine-là, en Côte d’Ivoire ? Avec les moyens dont l’État dispose, et le secteur public et privé, qu’estimez-vous atteignable et que serait votre souhait ?
Par rapport aux dirigeants, aux politiques, ce serait de diversifier les aides. Tout ne devrait pas être consacré seulement au militaro-militaire ou au bancaire. Afin que toute une population puisse en profiter, il faut diversifier à parts égales. Peut-être pas égales, les priorités n’étant malheureusement par le médical ni l’ophtalmologie, mais il faudrait qu’ils aient une vision inverse. Il faut que l’on mette l’homme au stade qui lui revient, qu’on lui donne tous les moyens pour pouvoir réussir, de telle sorte que l’on ait des super dirigeants. Et cela commence par l’enfance. Le développement de l’enfance et de la santé doit constituer une priorité pour nos dirigeants.