Ibrahim Diawara : Evaluation du Secteur Pharmaceutique et de Cipharm en Côte d’Ivoire

Ibrahim Diawara explique comment le secteur pharmaceutique s’est développé au cours des deux dernières années en Côte d’Ivoire et évoque la nécessité de mettre en place une politique protectionniste. Il parle également des dernières réalisations de Cipharm et partage sa vision pour le futur.

Interview avec Ibrahim Diawara, Président Directeur Général du Groupe Cipharm

Ibrahim Diawara, Président Directeur Général du Groupe Cipharm

Comment le secteur pharmaceutique s’est-il développé au cours des deux dernières années?

La politique du gouvernement vis-à-vis de notre secteur n’a toujours pas évolué, alors que nous attendons des changements depuis un certain temps. Nous lui demandons notamment de respecter la black list, de supprimer la TVA sur l’électricité et de lever les taxes de douane et la TVA sur la machinerie. Malheureusement, le gouvernement tarde à mettre en œuvre des dispositions qu’il nous a pourtant promises.

Comment la situation peut-elle changer à ce niveau-là?

La croissance de Cipharm va continuer de suivre la tendance économique globale du pays. Nous visons les 10 milliards de chiffre d’affaires d’ici 2020, ce qui nécessite des partenariats forts avec d’autres laboratoires afin d’augmenter notre portefeuille de produits.

Il faut effectuer un travail de lobby. Les industriels locaux, dont nous faisons partie, doivent s’organiser, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. J’ai eu la visite du Directeur Général de la FNISCI (Fédération Nationale des Industries et Services de Côte d’Ivoire) qui a pour mission d’être notre porte-parole auprès du gouvernement, et j’espère que cela va porter ses fruits. Cela concerne l’ensemble de la profession. Des ateliers et séminaires ont eu lieu, des rapports de l’ONUDI (Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel) ont été publiés. Tous ont abouti à la même conclusion et recommandent la mise en place des mesures que je viens de citer. Nous avons investi 7,5 milliards de Francs CFA pour étendre notre industrie en produisant notamment des médicaments injectables, et avons payé pour cela un total de 400 millions de Francs CFA de taxes de douane. C’est une somme énorme qui plombe notre activité. Notre facture d’électricité a par exemple été multipliée par deux alors que nous n’avons même pas atteint notre capacité de production maximale. Ce sont des handicaps sérieux pour l’industrie locale.

Quelle est la situation dans les autres pays de la région?

Au Ghana, au Nigéria et même au Sénégal qui ne dispose pas d’une industrie très forte, la black list est respectée, ce qui est fondamental. Les produits fabriqués en Côte d’Ivoire devraient faire l’objet de protection. Beaucoup de médicaments que l’on fabrique localement, comme le paracétamol, pour ne citer que lui, ne devraient plus être importés.

Vous demandez donc la mise en place d’une politique protectionniste.

Oui, il s’agit de protectionnisme, mais c’est une pratique courante dans beaucoup de régions du monde comme la France ou le Maghreb, où la production locale représente désormais entre 50 et 70 % de la consommation. Ce sont des mesures nécessaires pour assurer le bon développement du secteur. Nous demandons un minimum de protection sur des produits de base, car cela permet de tirer les prix vers le haut, de contrôler notre production et de garantir une traçabilité, ce qui est essentiel pour empêcher la circulation de faux médicaments. Nous pourrions ensuite réinvestir les dividendes dégagés grâce à ce processus et nous développer davantage.

Quelles ont été les réalisations majeures de Cipharm ces dernières années et qu’ont-elles apporté sur le marché?

Comme je l’évoquais, Cipharm a investi 7,5 milliards de Francs CFA pour monter une unité de produits injectables. Celle-ci est essentiellement dédiée à la fabrication de produits de base, dont nous avons besoin dans ce pays, comme les poches de glucosé, de sérum salé, de solution de Ringer, de métronidazole ou même de paracétamol utilisé notamment pour le traitement du paludisme. Nous prévoyons aussi de produire des ampoules injectables. Nous commencerons avec la fabrication d’ampoules d’électrolytes comme le calcium, le potassium, le magnésium et continuerons avec les produits d’hémodialyse, afin de mettre fin à leur importation. Nous avons donc besoin du soutien du gouvernement dans ce domaine. Les appels d’offre doivent être limités au niveau local, car il est inutile de se procurer des produits de base à l’extérieur du pays.

Quels sont vos avantages concurrentiels sur le marché pharmaceutique?

Notre avantage réside dans notre offre de produits en vrac bon marché dans les pharmacies, ce qui permet de lutter contre le marché noir de médicaments. Pour reprendre l’exemple du paracétamol, nous proposons dans les pharmacies des plaquettes de dix comprimés à 200 Francs CFA maximum. Sur le marché, vous pouvez trouver un comprimé unitaire à 25 Francs. Donc il est plus avantageux d’acheter une plaquette en pharmacie, plutôt que dix comprimés sur le marché. Il est possible de fabriquer des médicaments de qualité à bon marché. Nos concurrents viennent tous de l’étranger, il est donc très difficile de garantir une traçabilité et une qualité des produits qui entrent en Côte d’Ivoire. Ici, nous proposons des produits qu’il est possible de contrôler à tout moment. Je compare toujours le marché pharmaceutique à l’alimentaire. Un pays a besoin d’un minimum de protectionnisme dans ces deux secteurs. Les événements de 1999 et de 2010-2011 l’ont montré. Les frontières étaient fermées, ce qui a provoqué une pénurie de nombre de denrées, mais nos produits locaux ont été vendus, même si la demande a été particulièrement forte pendant toute cette période. Cela montre bien qu’un pays doit produire un minimum pour assurer sa propre sécurité.

Comment vos produits sont-ils distribués dans le pays?

En Côte d’Ivoire nous bénéficions d’un système de distribution pharmaceutique de qualité depuis l’indépendance. Cipharm commercialise ses produits exclusivement auprès de quatre grossistes, chargés de la distribution dans les pharmacies. Deux de ces grossistes, Copharmed et Laborex, sont actionnaires de Cipharm, ainsi qu’environ 200 pharmaciens privés. Nous contrôlons donc toute la chaîne et n’avons pas intérêt à sortir du circuit traditionnel.

Comment envisagez-vous les exportations?

Nous travaillons essentiellement UbiPharm et E.P.Dis du groupe Eurapharma qui coordonnent les deux circuits de l’Afrique noire francophone à partir de Rouen. Ces deux entités collectent nos produits une à deux fois par mois, puis les envoient à Rouen d’où elles les redistribuent vers tous les grossistes de l’Afrique francophone. Ces circuits sont très rapides et parfaitement coordonnés. Et dans chacun de ces pays, comme au Congo, au Gabon ou au Cameroun, Cipharm s’appuie également sur deux agences chargées de la promotion de nos produits. Les exportations représentent 50 % de notre chiffre d’affaires.

En quoi consiste le travail de promotion de vos produits, réalisé par les agences présentes dans chacun des pays cités?

Les agences envoient des visiteurs médicaux auprès des pharmacies et des médecins pratiquants, ce qui est une pratique courante dans notre métier.

Des mesures publicitaires sont-elles possibles?

En Côte d’Ivoire, nous sommes limités sur ce plan. La population ivoirienne n’a pas le même rapport à la santé qu’en Europe. Une pratique publicitaire pourrait favoriser le marché illicite et ce que nous appelons les « médicaments par terre », ce qui serait préjudiciable pour la santé des Ivoiriens.

Quelle est votre stratégie de développement? Privilégiez-vous plutôt l’export ou le marché local?

Nous agissons sur les deux tableaux. Nous avons recruté un agent commercial qui sillonne les 16 pays où nous sommes présents, analyse la situation sur place, forme les agences sur nos nouveaux produits. Le potentiel à l’étranger est énorme. Nous avons réalisé une étude de marché pour les produits que nous proposons, nous n’avançons pas en terrain inconnu et savons quel potentiel nous avons.

Quel est votre taux de pénétration sur le marché étranger? Visez-vous une position de leader? Quels sont vos concurrents?

Actuellement, la tendance dans notre secteur est de faire fabriquer les médicaments par des sous-traitants, appelés aussi façonniers, et d’investir dans une force de vente pour se positionner sur le marché. La taille limitée de notre entreprise ne nous permet pas de procéder ainsi. Nous essayons d’abord de diffuser l’image d’une entreprise exemplaire et de pénétrer ensuite le marché des différents pays que je viens de citer. C’est une méthode qui a fait ses preuves et nous avons l’intention de poursuivre dans cette direction.

Pensez-vous pouvoir atteindre un statut de leader dans votre secteur?

Notre activité est aujourd’hui essentiellement concentrée sur les médicaments de base. Les priorités ne sont pas les mêmes que pour les industries spécialisées dans les traitements anti-cancéreux ou les biomédicaments qui ont le vent en poupe. Nous avons choisi de nous focaliser sur les médicaments de base car, comme le confirme l’OMS, ces produits doivent être fabriqués dans notre pays pour éviter qu’ils ne soient importés. Voilà où se situe notre priorité aujourd’hui.

Comment fonctionne le système de santé en Côte d’Ivoire? Les frais de médicaments sont-ils pris en charge et remboursés?

Depuis l’indépendance, les politiques se sont multipliées. Le gouvernement a récemment mis en place la Couverture Maladie Universelle (CMU) qui est encore lacunaire. Au Mali et au Gabon, ce type de couverture a déclenché une poussée de consommation de médicaments de 15 %. En Côte d’Ivoire, le phénomène devrait donc être identique et nous espérons que les populations les moins favorisées bénéficieront de ce système. Par ailleurs, les fonctionnaires disposent d’une mutuelle propre qui fonctionne très bien. Le secteur privé est couvert par des assurances privées qui couvrent jusqu’à 80 % des dépenses. Pour en revenir à la CMU, la consommation, qui augmente de 6 à 7 % par an actuellement dans le pays, devrait rapidement doubler avec l’arrivée de cette couverture. Elle est en train d’être mise en place, les inscriptions sont en cours. La cotisation s’élève à seulement 1000 Francs CFA par personne par mois, ce qui favorise la couverture médicale du plus grand nombre. Les hôpitaux et les pharmacies sont aussi concernés par le processus.

Le taux de croissance économique de la Côte d’Ivoire est actuellement très élevé contrairement au reste du monde, entre 8 et 10 %. Cette progression touche-t-elle réellement la population dans son ensemble et se répercute-t-elle de manière indirecte sur votre activité?

Le développement est réel. Le pays dispose d’infrastructures de qualité, l’accessibilité des zones de production agricole est bien assurée, ce qui, pour un pays dont l’économie repose majoritairement sur l’agriculture, est fondamental et témoigne des bénéfices de la croissance dans tous le pays. En ce qui nous concerne, la croissance de l’entreprise s’élève à 6 à 7 % par an et nous sommes passés de 3 milliards de Francs CFA de chiffre d’affaires en 2006 à environ 5,5 milliards aujourd’hui. Même si les importants investissements réalisés dernièrement nous ont un peu freinés, nous allons renouer avec la croissance dès l’année prochaine. Cette tendance est perceptible dans les pharmacies où la consommation augmente.

Quelles sont les perspectives de Cipharm dans les deux à trois prochaines années?

La croissance de Cipharm va continuer de suivre la tendance économique globale du pays. Nous visons les 10 milliards de chiffre d’affaires d’ici 2020, ce qui nécessite des partenariats forts avec d’autres laboratoires afin d’augmenter notre portefeuille de produits. Cela implique aussi la mise à niveau de nos anciennes unités 1 et 2 et un ajustement par rapport aux normes internationales. Enfin, nous devons développer notre effort commercial pour atteindre nos objectifs.

Dans quels domaines prévoyez-vous des partenariats avec des laboratoires?

Nous recherchons des partenariats dans divers domaines : l’assistance technique et financière, mais aussi le transfert de dossiers, afin d’arriver à fabriquer les médicaments localement, conformément à l’objectif affiché de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Notre plus gros partenaire est Sanofi, dont nous produisons et distribuons les médicaments sur place. Nous sommes en discussion avec d’autres laboratoires afin de poursuivre le processus.

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