Incub’Ivoir : Un Incubateur Généraliste de Projets Innovants Basé en Côte d’ivoire
Hermann Kouassi nous parle du secteur de l’incubation en Côte d’Ivoire et explique quels sont les objectifs d’Incub’Ivoir, un incubateur généraliste né de l’initiative de 3 entrepreneurs franco-ivoiriens, qui fait le lien entre les porteurs de projets issus des écoles de commerce et universités, des chercheurs issus du monde de la (recherche) science et des technologies et des entrepreneurs issus du monde (de l’entreprise) économique.
Interview avec Hermann Kouassi, CEO de Incub’Ivoir
Comment se porte le secteur de l’incubation en Côte d’Ivoire ?
A la différence des autres pays comme le Sénégal, le Ghana et le Burkina, c’est vraiment très difficile en Côte d’Ivoire. Il n’y avait pas de politique pour les PME. Les entreprises qui étaient présentes étaient soit des multinationales qui s’installaient avec des filiales, soit des entreprises familiales ivoiriennes qui existaient déjà et qui avaient déjà des marchés conséquents. Il y avait du lobbying en arrière et des marchés gré à gré. Il n’y avait pas d’entrepreneurs qui venaient, qui commençaient leurs activités et qui devenaient des champions. Aujourd’hui, lorsque vous prenez la Côte d’Ivoire qui arrive à faire 8% de taux de croissance, et que vous demandez des start-ups, vous n’en trouvez pas assez. En outre, il n’y a pas d’incubateurs. Il n’y a que des structures qui font de l’accompagnement. Le Ministère du Commerce a lancé, il y a trois ans, un programme avec la BAD (Banque Africaine de Développement) qui est censée financer des incubateurs qui se trouvent à Abidjan, Yamoussoukro, Bouaké et Korhogo. Le programme n’est pas encore lancé. C’est tout dernièrement qu’ils ont achevé la première partie des installations sur Abidjan. Il y a quelques mois que, par décret, il a été annoncé qu’il y a une nouvelle agence qui va faire la promotion des incubateurs. Il y a un vrai vide dans ce domaine.
Mais il y a ESPartners qui évolue dans ce secteur.
ESPartners est le bras armé de la CGECI (Confédération Générale des Entreprises de Côte d’Ivoire). Ils travaillent sur le concours de la CGECI Academy. Ils font de l’accompagnement et du conseil. Avec ESPartners, il y a un concours qui est lancé, et ils accompagnent les entreprises qui ont gagné le concours. Mais par derrière, il y a plus de lobbying. Si on demande à ces gagnants d’aller seuls à l’international, c’est difficile. Le concours CGECI en est à sa 10ème édition. Si vous demandez aux initiateurs de faire un résumé sur tous les lauréats, ils ne pourront pas vous dire où en sont ces derniers dans les affaires. Contrairement à la France, où il y a un programme d’incubation qui suit les porteurs de projets incubés et où il y a une phase d’accélération qui est définie. En Côte d’Ivoire, il n’y a pas de programme.
Le VITIB a aussi été créé dans ce sens.
Avec le VITIB (Village des Technologies de l’Information et de la Biotechnologie), on nous annonce de gros chiffres sur l’aide de l’Etat. Il y a une volonté de l’Etat, mais il n’y a pas d’actions, ou alors les personnes qui doivent mener ces actions n’ont pas soit la compétence, soit la méthodologie. Il y a un gros décalage entre l’investissement qui est réalisé et le résultat sur le terrain.
Voulez-vous dire que la Côte d’Ivoire est à la traine comparativement à certains pays de la sous-région ?
Le Sénégal a trois ou quatre incubateurs qui sont des références en Afrique de l’Ouest, comme le CTIC. Les prototypages de tous les projets lancés par la Banque Mondiale ou le FMI (Fonds Monétaire International) sont faits dans ces structures. Au Burkina, La Fabrique est une référence. Elle fait des projets pour l’AFD (Agence Française de Développement) et la Banque Mondiale. Mais en Côte d’Ivoire, lorsqu’il y a des structures comme la Banque Mondiale qui arrivent, jamais on ne va dire qu’il y a une structure qui démarre.
Comment peut-on expliquer ce retard ?
Nous ne conduisons pas le projet pour les porteurs de projet. Nous leur donnons des orientations et des personnes qui peuvent résoudre leurs difficultés. C’est la plus-value que nous apportons.
La Côte d’Ivoire est un pays immensément riche. Avec la manne du café et du cacao, le pétrole qui a été découvert et le boom immobilier, les autorités n’ont pas cette volonté d’aller sur un terrain qu’elles ne maitrisent pas. Alors que c’est ce qui peut permettre d’avoir un taux de croissance inclusif. La Côte d’Ivoire a tendance à rester sur les cultures de rente comme le café et le cacao. On essaie de pousser des entrepreneurs et des industriels à aller vers ce domaine plutôt que d’autres secteurs où l’on peut créer des richesses locales et permettre à des collectivités locales de se développer. Quand nous nous sommes installés, nous nous sommes rendu compte qu’il n’y avait pas de structures d’incubation sur le terrain. Par exemple, le porteur de projet arrive dans un local. Il est coaché et on lui parle de l’entrepreunariat. On ne lui dit pas véritablement les obstacles à franchir pour qu’il soit un bon entrepreneur. La Côte d’Ivoire est devenue une plaque tournante des concours de start-ups. On a l’impression que le rôle des start-ups, c’est de gagner les concours. Non, ce n’est pas de competir tout le temps. C’est plutôt d’aller à une étape supérieure lorsque l’on gagne un concours. Après trois ans, lorsque l’on demande à ces start-ups où elles en sont avec les projets pour lesquels elles ont été primées, on se rend compte qu’elles n’ont rien développé.
Comment faites-vous pour insuffler le dynamisme au niveau des start-ups ? Quelle est votre action aujourd’hui ?
Je peux vous assurer qu’il y a de nombreux projets. Les jeunes sont vraiment ingénieux. Mais, il y a un problème au niveau de la concrétisation du projet. Ils se limitent à l’idée qui est bonne et ils ne pensent pas à comment passer à une échelle supérieure avec cette idée. Par exemple passer à des marchés supérieurs pour évoluer. Quand nous sommes arrivés, nous avons élaboré un plan. La première des choses que le porteur de projet doit nous dire, c’est sa vision sur 5 ou 10 ans. Nous lui demandons aussi ce qu’il lui manque pour atteindre sa vision dans 10 ans. C’est après que l’incubateur trouvera des solutions au porteur de projet pour que ce dernier puisse travailler dans cette vision afin d’atteindre l’objectif qu’il s’est fixé. Nous ne conduisons pas le projet pour les porteurs de projet. Nous leur donnons des orientations et des personnes qui peuvent résoudre leurs difficultés. C’est la plus-value que nous apportons. Il y a la valeur de conscience professionnelle que l’on essaie de faire prendre au porteur de projet. Par exemple le respect du temps et de la clientèle, la satisfaction de la clientèle, la qualité du produit à fournir et surtout l’intégrité de l’entrepreneur.
Citez des projets que vous avez déjà accompagnés.
Nous avons un projet qui répond à une attente des populations locales et du gouvernement. Nous avons un jeune qui développe une application de comptabilité simplifiée pour les petits ménages et pour les personnes dans l’informel. Cette application peut permettre à un garagiste qui est dans l’informel de dresser un bilan. Derrière ce produit, nous voyons une solution qui peut intéresser les assurances car si quelqu’un qui est dans l’informel peut utiliser ce logiciel, il peut connaître son chiffre d’affaires. C’est un logiciel qui est fiable et qui peut être proposé à des personnes. C’est une solution qui n’existe pas encore ailleurs. Cette application peut permettre à un grand nombre de personnes de sortir de l’informel. C’est ce que demandent la Banque Mondiale et le FMI. Les Africains doivent arriver à formaliser les économies, et c’est par ce genre d’outils que l’on peut faire passer ceux qui sont dans l’informel au formel. Comment montrer les avantages du formel à celui qui est dans l’informel ? C’est toute la problématique. Il ne doit pas être dans le formel pour se faire prélever seulement. Il y a beaucoup d’avantages dans le formel. Il n’y a pas cette sensibilisation qui est faite auprès des populations.
Comment faire en sorte que toutes les activités éclosent ?
Il faut d’abord la volonté de l’Etat. Nous sommes en train de travailler dans ce sens. Il n’y a pas de statut pour les start-ups. Lorsque nous prenons les porteurs de projet, nous leur demandons de se normaliser. Nous ne pouvons pas accompagner une entreprise qui n’existe pas. Nous entamons la phase de pré-incubation où nous développons avec l’entrepreneur la capacité du produit ou du service à atteindre un marché, ou encore nous cherchons à voir les partenariats que l’on peut développer pour qu’au final le projet intéresse les investisseurs. Une fois que tout cela est terminé, nous demandons au porteur de projet d’ouvrir son entreprise. C’est encore hypothétique parce qu’au final, nous ne savons pas comment les choses peuvent se passer. En Côte d’Ivoire, quand vous ouvrez une entreprise, les mois qui suivent, il faut sortir de l’argent pour payer les impôts, la patente et les droits à la mairie. Aujourd’hui, l’Etat gagnerait à mettre en place un statut particulier pour les start-ups sur une certaine période, comme la défiscalisation pour les multinationales. Cela redonnera la confiance aux entrepreneurs et les structures comme les nôtres pourront mieux les encadrer. En plus, lorsque vous développez une idée, cela nécessite de l’argent. Même quand l’entrepreneur est dans de bonnes dispositions et qu’il est bien encadré, il faut de l’argent pour développer le prototype et pour conquérir le marché. Ces financements n’existent pas en Côte d’Ivoire. Il faut que dans 4 ou 5 ans, Incub’Ivoir ait son propre fonds d’amorçage qui permettrait d’accompagner les entrepreneurs sur cette phase qui nécessite souvent des financements pas excessifs, généralement entre 5 et 50 millions. Quand vous accompagnez un entrepreneur sur cette étape, vous avez la possibilité de lever des millions d’euros parce que l’entreprise a une taille critique qui peut intéresser le marché sous-régional.
Comment allez-vous faire pour mettre en place ce fonds ?
Nous avons deux objectifs sur la création de ce fonds. La première des choses que nous voulons faire, c’est de montrer que les entrepreneurs que nous accompagnons sont des entrepreneurs à forte valeur ajoutée. C’est ce qui fera la différence entre Incub’Ivoir et les autres sociétés. C’est un gage de confiance et de sécurité. Une fois que cela est fait, nous pourrons proposer aux partenaires de nous accompagner dans cette phase d’accompagnement que nous maîtrisons déjà. Il y aura après la phase du fond d’amorçage dont les entreprises ont besoin pour aller à la conquête du marché. Cela va se faire dans 2 ans. La première promotion a débuté en octobre dernier et elle va passer 24 mois chez nous. Pendant cette période, nous allons en faire sortir certaines qui ont vraiment avancé dans leur projet. Notre accompagnement ne se résume pas seulement aux 24 mois. Après les 24 mois, nous les coachons toujours pour qu’elles atteignent l’objectif final. Nous voulons formater ces entrepreneurs sur un process et une vision. Même si demain l’entrepreneur se retrouve seul, il sera capable de s’orienter.
Comment attirez-vous les entrepreneurs ?
Incub’Ivoir s’est bâti une réputation sur le potentiel de l’équipe et des fondateurs. Nous n’avons pas demandé de prêts aux banques ni aux fonds d’investissement pour lancer notre entreprise. De notre expérience personnelle et vu l’environnement des affaires, nous avons décidé de mette ce modèle sur pied. Sur cette base, nous nous sommes fixés les objectifs à atteindre. Nous avons débuté en 2016. En 2017, l’Organisation Internationale de la Francophonie nous a approché pour nous demander le modèle sur lequel repose notre business. Après avoir fait le tour de plusieurs autres entreprises, la Francophonie nous a distingué après neuf mois d’exercice. L’Organisation Internationale de la Francophonie a trouvé que notre idée de base était en adéquation avec le travail qui était fait sur le terrain. C’est d’ailleurs ce qui nous lie aujourd’hui à IEP. Nous sommes allé alors voir les responsables d’IEP et nous leur avons proposé d’aller rechercher des projets à fort impact pour eux sans qu’ils nous donnent de l’argent. Ils ont accepté l’accord et après, ils se sont rendu compte qu’il y avait du potentiel dans le travail que nous faisons. Nous comptons toujours évoluer dans ce schéma et intéresser les partenaires qui viendront vers nous.
Quels sont vos ambitions à court terme ?
Nous avons des demandes. Il y a des responsables d’entreprises qui viennent nous voir pour pouvoir se développer au plan national et international ou qui veulent lever des fonds. Par rapport à toutes ces demandes, nous avons décidé de bâtir des programmes de 6 et 9 mois. Ce sont des programmes pour des entreprises d’une certaine taille. Ces programmes ont pour objectif de donner une nouvelle culture à l’entrepreneur sur l’entrée des fonds d’investissement dans leur capital. Avec l’expertise que nous avons eue à l’international, nous savons les besoins des entrepreneurs. Nous les identifions avec eux et nous leur faisons des propositions de l’extérieur avec des offres de l’intérieur.
Quel message voulez-vous lancer ?
J’ai deux messages. Je voudrais dire au gouvernement de croire en sa jeunesse, de croire aux PME et aux TPE ivoiriennes. Dans les pays développés, les PME constituent 80% de l’économie. Il faut les aider à se transformer en champions locaux et permettre à l’économie d’avoir une croissance inclusive pour que la richesse atteignent toutes les couches sociales. Aux porteurs de projet, nous leur demandons de regarder leur projet de l’extérieur. Nous leur apportons ce regard extérieur avec notre petite expérience et leur permettons d’avoir les bonnes entrées là où il faut.