Production de Cacao en Côte d’Ivoire : Interview avec Toussaint N’Guessan de l’OMCC

Toussaint N’Guessan partage son point de vue sur la situation actuelle des producteurs de cacao en Côte d’Ivoire et évoque un certain nombre de mesures à adopter pour rendre ce type d’agriculture durable. Il parle également de ses ambitions à long terme pour l’OMCC, l’Organisation Mondiale des Cultivateurs de Cacao.

Interview avec Toussaint N’Guessan, Président de l’OMCC (Organisation Mondiale des Cultivateurs de Cacao)

Toussaint N'Guessan, Président de l'OMCC

Quel est votre point de vue sur la situation des producteurs de cacao en Côte d’Ivoire actuellement ?

La situation est actuellement très mitigée car les petits producteurs, qui sont à la base de 95 % de la production mondiale de cacao, souffrent de conditions difficiles. Ils sont gagnés par le découragement car ils n’ont pas accès aux financements ou à certains services sociaux, même si des réformes ont été réalisées par les pouvoirs publics. La question de la répartition de cette richesse reste à revoir. Les producteurs sont désorganisés, ils n’ont pas de porte-parole, donc leur voix n’est pas entendue là où il le faudrait. La formulation des politiques les concernant leur échappe. Il faut tout de même reconnaître que des efforts ont été faits ces cinq dernières années, mais il reste beaucoup à faire.

Lors de diverses interventions publiques, vous affirmez qu’il faut préparer la nouvelle génération d’entrepreneurs agricoles. Qu’entendez-vous par là?

Dans les conditions actuelles, l’attitude de tout planteur de cacao est passive. Il ne se considère pas comme entrepreneur et ne voit pas sa plantation comme une entreprise. La démotivation gagne les producteurs car le cours du marché n’est pas encourageant, mais la nouvelle génération, plus proactive, ne se reconnaît pas dans le travail de ses aînés, si celui-ci n’est pas rentable. Il faut donc motiver les jeunes et leur redonner espoir. L’activité cacaoyère est une entreprise que l’on peut rendre viable en la professionnalisant.

Vous dites aussi vouloir contribuer à la sécurisation de l’approvisionnement en fèves de cacao. Comment comptez-vous procéder ?

Il faut mettre en adéquation les possibilités de productivité du cacao et équilibrer la demande et l’offre, afin que l’industrie puisse s’approvisionner continuellement et que les professionnels du cacao, respectant les normes en vigueur, puissent faire tourner leurs usines. Il est alors nécessaire d’impliquer ces derniers dans cette production raisonnée et durable.

Aujourd’hui, les producteurs de cacao ne sont pas impliqués dans le processus de définition du prix.

Nous nous alignons sur les objectifs mondiaux, continentaux et nationaux de l’économie cacaoyère. Nous nous inscrivons donc dans la lignée de l’agenda global du cacao, adopté par l’ICCO (Organisation Internationale du Cacao).

En effet, les producteurs sont toujours représentés par le gouvernement et ne participent pas à la formulation du prix, qui est fixé aux bourses de Londres et New-York. L’une des raisons de la création de notre organisation, l’OMCC (l’Organisation Mondiale des Cultivateurs de Cacao), était la volonté de prendre part objectivement et de manière constructive à ces débats, afin que la filière soit durable. Une table a besoin de ses quatre pieds pour être stable. Dans notre cas, trois pieds sont déjà existants : le gouvernement, l’industrie qui absorbe le cacao que les cultivateurs produisent et les ONG des pays consommateurs. Le quatrième pied constitué des producteurs eux-mêmes est malheureusement encore absent. Or ils sont à la base de l’activité et sont indispensables à la fabrication du chocolat. L’OMCC a vocation à porter la voix des cultivateurs de cacao à la table de la durabilité, pour équilibrer les débats et leur donner une force.

Si vous êtes convié à cette table, quel sera votre message?

Premièrement, un dialogue direct entre les producteurs et l’industrie chocolatière est nécessaire. Il faut également améliorer la qualité des relations entre le gouvernement et les producteurs et renforcer la complémentarité des actions entre les producteurs et les ONG des pays consommateurs.

Quel est alors l’objectif final ?

Le but est de mettre sur pied une économie cacaoyère durable qui prenne en compte les préoccupations, les intérêts et les attentes de toutes les parties. S’il n’est pas impliqué, le producteur ne se sent pas concerné par les mesures définies. Un exemple est révélateur : face à la baisse du cours du cacao, les producteurs ivoiriens ont commencé à couper les pieds des cacaoyers et se sont tournés vers la culture du caoutchouc.

Quelles mesures concrètes peuvent rendre durable cette agriculture ?

Nous nous alignons sur les objectifs mondiaux, continentaux et nationaux de l’économie cacaoyère. Nous nous inscrivons donc dans la lignée de l’agenda global du cacao, adopté en 2012 et 2014 par l’ICCO (Organisation Internationale du Cacao), dans lequel toutes les parties prenantes sont conviées à contribuer et à veiller à la durabilité de l’activité. Cet agenda est notre référence. Les pays consommateurs doivent jouer leur rôle pour assurer une consommation durable du cacao. Les pays producteurs doivent veiller à garantir une production durable. Et l’industrie cacaoyère doit elle aussi s’engager à payer le prix juste pour continuer à motiver les cultivateurs et leur garantir un accès à tous les services de base.

Quels sont aujourd’hui vos principaux défis ?

Notre organisation a été créée il y a deux ans et peut se prévaloir d’un an d’existence légale. Après le processus de formalisation administrative, nous allons organiser, en marge des activités de l’ICCO, un atelier de validation de notre plan stratégique qui fait appel à des ressources suffisantes pour financer notre programme d’action. Grâce à ce plan, nous voulons faire entendre la voix des agriculteurs et traduire en mesures concrètes les attentes de ceux-ci. Selon une étude, conduite avec l’appui de l’ICCO, nous devons, en association avec quatre pays producteurs, évaluer les possibilités d’amélioration de la production et des rendements, et les perspectives de professionnalisation du secteur. Nous travaillons avec la Fondation Mondiale du Cacao (World Cocoa Foundation) sur un projet d’autonomisation des femmes dans la culture du cacao, par la formation et la promotion d’un leadership féminin dans la filière. Le projet touchera 1000 femmes en Côte d’Ivoire. Enfin, nous travaillons également avec le Conseil Interprofessionnel du Cacao du Cameroun, pour que le projet « New Generation » y soit répliqué. Il vise à renouveler la force de production, à sécuriser les approvisionnements de l’industrie, à professionnaliser davantage le métier et ainsi, à encourager la jeunesse à prendre la relève, sans quoi la culture du cacao ne pourra être durable.

Quelles sont vos ambitions à long terme? Quelle sera votre organisation dans deux à trois ans et qu’aura-t-elle atteint ?

Depuis la création de l’OMCC, nous avons déjà atteints des objectifs importants, ce qui augure des lendemains encore meilleurs. Nous sommes membres de l’Organisation Mondiale des Agriculteurs qui est la voix officielle des agriculteurs au sein des Nations Unies. Nous en assurons la représentation pour l’Afrique de l’Ouest francophone. Nous sommes la seule organisation de producteurs membre de l’assemblée générale de la Fondation Mondiale du Cacao, et pouvons à ce titre dialoguer directement avec les représentants de l’industrie cacaoyère. L’an dernier, l’OMCC a aussi représenté les producteurs auprès du comité technique et scientifique chargé de planifier et organiser la Conférence mondiale sur le cacao qui a eu lieu en 2016 en République Dominicaine à Punta Cana. Ce comité mondial très réputé est composé de sept experts représentant les gouvernements, l’industrie et la société civile. Par ailleurs, l’OMCC est membre de la très prestigieuse Commission consultative de l’ICCO qui comprend tous les experts reconnus dans le secteur du cacao, ainsi que de la plateforme de partenariat public-privé du Conseil du Café-Cacao qui regroupe les plus grands spécialistes du cacao en Côte d’Ivoire. De plus, un de nos membres a assuré la présidence du comité de réflexion de la Commission consultative de l’ICCO, qui vise à évaluer quel type de financement que le secteur doit mobiliser pour assurer un avenir durable au cacao. Nous sommes aussi consultés par la Banque Mondiale pour donner notre avis sur ses programmes portant sur le cacao en Côte d’Ivoire, nous dialoguons avec la Banque Africaine de Développement et travaillons avec toutes les associations interprofessionnelles de la filière du cacao au Cameroun, au Togo, au Nigéria et au Ghana. Selon nous, il est temps que les producteurs comprennent que l’activité est viable et rentable si elle est structurée et professionnalisée. Dans deux ou trois ans, nous souhaitons que les producteurs deviennent des entrepreneurs agricoles ayant une activité rentable tout en étant libres de prendre des vacances à leur convenance et d’avoir des loisirs. Ils devront être en mesure de se positionner dans les débats portant sur la définition d’un prix minimum garanti du cacao qui prenne en compte les coûts réels de production actualisés, ainsi que les charges d’un ménage de producteurs.

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