Cémoi : Un des Premiers Transformateurs de Cacao en Côte d’Ivoire

Benjamin Bessi partage son avis sur la situation actuelle de la filière du cacao en Côte d’Ivoire et nous donne son évaluation concernant le marché du chocolat. Il présente également les activités de Cémoi dans le pays et explique quelles sont les ambitions du groupe pour les prochaines années.

Interview avec Benjamin Bessi, Directeur Général de Cémoi Côte d’Ivoire

Benjamin Bessi, Directeur Général de Cémoi Côte d'Ivoire

Quelles sont les tendances actuelles de votre secteur ?

La filière est actuellement touchée par la baisse des cours du cacao. La Côte d’Ivoire étant le premier producteur mondial, ce qui se passe sur le marché se fait immédiatement ressentir dans le secteur. Depuis la réforme de la filière mise en place par le Président Ouattara, nous avons connu une période de cinq ans de hausse régulière du marché du cacao, qui a non seulement bénéficié aux producteurs mais a aussi permis de structurer davantage l’ensemble des opérateurs impliqués. Mais comme toute matière première exposée aux spéculations, le cacao connaît des périodes prospères et des périodes plus difficiles. Depuis presque un an, nous subissons de plein fouet la baisse des cours du cacao qui est de 30 % entre le prix en vigueur il y a un an et le prix actuel. Cela crée un certain nombre de distorsions qui ont été adressées au niveau du Conseil du Café-Cacao. Celui-ci a pris des dispositions, avec l’appui du gouvernement, pour contenir la crise, préserver autant que possible le maillon de la chaîne le plus vulnérable, à savoir le producteur, et aider les intermédiaires tels que les coopératives et certains opérateurs à rebondir et à assurer la commercialisation de la matière.

Vous êtes présents à différents niveaux de la chaîne. Quel est votre positionnement exact dans la filière ?

Le Groupe Cémoi a la particularité d’être présent depuis le planteur, en matière d’encadrement technique, jusqu’au produit final. Notre positionnement nous permet d’être bien informés des contraintes et des enjeux du secteur. Sur la matière première qu’est le cacao, une matière spéculative, plusieurs outils financiers existent pour négocier des contrats à terme. Ils sont régis localement par le Conseil du Café-Cacao mais arbitrés et garantis sur le marché à terme. Cela permet au groupe Cémoi de maîtriser tous ces aspects pour éviter les turbulences que nous évoquions. Par ailleurs, nous sommes avant tout chocolatier et nous nous intéressons à ce titre aux attentes du consommateur. Celui-ci recherche un chocolat de bonne qualité, avec en amont, une garantie de traçabilité de la matière première. Nous avons lancé un programme appelé Transparence Cacao qui nous permet de connaître chaque maillon de la chaîne d’approvisionnement, depuis le planteur dans les zones de production, en passant par la coopérative qui effectue un premier groupage du cacao et nous l’apporte à l’entrée de notre usine. Aujourd’hui, nous connaissons l’origine de tous les produits que nous achetons. Les ingrédients de la tablette de chocolat que nous vendons sont tous parfaitement identifiables. Grâce à ce positionnement unique, nous pouvons correctement réguler nos activités et identifier en temps réel les enjeux pour ajuster éventuellement notre stratégie interne.

La traçabilité fait partie de votre politique de responsabilité sociale, notamment dans le cadre des accords avec Blommer et Petra Food, visant une hausse de la qualité du cacao et un développement durable. Pouvez-vous nous en dire plus ? Cette démarche vient-elle exclusivement du consommateur qui associe qualité et provenance du chocolat, alors que les spécialistes affirment souvent qu’il faut mélanger les fèves pour produire un bon chocolat ?

Nous voulons doubler la capacité de l’usine pour passer de 5 à 10 000 tonnes de production de chocolat, couvrir le marché potentiel que nous avons évalué dans l’espace de la CEDEAO et devenir ainsi le principal fournisseur de chocolat dans la région.

Le consommateur a aujourd’hui besoin d’être rassuré sur la matière première incorporée dans le produit qu’il consomme. L’industrie agro-alimentaire est traversée par des crises qui ont amené les consommateurs et associations de consommateurs à adopter des positions extrêmement exigeantes en ce qui concerne la sécurité des produits alimentaires commercialisés. L’industrie du chocolat s’y est adaptée. Dans ce contexte, nous avons choisi une stratégie de proximité avec les planteurs pour mieux les connaître, leur apporter l’assistance nécessaire à la production d’un cacao de qualité, subvenir à leurs besoins de première nécessité, assurer la pérennité de leur activité et garantir nos approvisionnements. Voici donc l’épine dorsale de notre programme Transparence Cacao, qui s’est ensuite traduit sur le terrain par des engagements. Nous souhaitons cibler une centaine de communautés de producteurs dans plusieurs localités de la zone forestière de production, et leur apporter les moyens d’améliorer leurs conditions de vie, d’accéder aux soins délivrés par des centres de santé ainsi qu’à l’eau potable grâce à des forages que nous avons réalisés. Nous avons aussi installé des centres de fermentation dans chaque localité et prenons en charge le cacao après décabossage. Traditionnellement, c’est le planteur qui effectue le processus de fermentation. Par notre démarche, nous apportons un outil semi-industriel qui assure une fermentation dans les règles de l’art. Nous nous appuyons sur ce que nous appelons la courbe idéale de fermentation, qui nous garantit un profil aromatique pour la fabrication d’un chocolat noir haut de gamme. C’est une des particularités du groupe Cémoi. Notre présence sur le terrain nous permet d’aider les communautés villageoises et les coopératives à améliorer leurs conditions de vie et c’est cette action qui fait l’objet de toute notre communication sous le nom de Transparence Cacao.

Vous avez également signé un accord avec la SODEFOR (Société de Développement des Forêts) en matière de protection de l’environnement.

Tout à fait. Il constitue un des piliers du programme Transparence Cacao, constitué de quatre critères. À côté de la qualité de vie du planteur qui constitue le premier critère, la qualité environnementale est essentielle, pour que la cacaoculture n’altère pas le couvert forestier, car son développement a par le passé entraîné un phénomène de déforestation dans de nombreuses zones de production. C’est pourquoi nous accompagnons notre programme d’un programme d’agroforesterie. Nous faisons une sélection de matériel végétal composé d’arbres adaptés à cet écosystème pour aider à reconstituer le couvert forestier. Ce programme a fait l’objet d’un partenariat avec la SODEFOR et est appuyé par des bailleurs de fonds institutionnels. Les deux autres critères sont la qualité aromatique, comme je l’évoquais précédemment, et la qualité alimentaire qui est le socle de la traçabilité.

Pouvez-vous présenter Cémoi Côte d’Ivoire ?

Cémoi Côte d’Ivoire est une entité qui emploie 1000 salariés à tous les niveaux de la chaîne de valeur du cacao. Nous sommes d’abord présents sur le plan de l’approvisionnement, comme nous venons de le voir en évoquant notre exigence de transparence. Puis nous intervenons au niveau de la première transformation pour obtenir des produits semi-finis comme le beurre de cacao, la masse de cacao et la poudre de cacao, qui sont des ingrédients fournis aux chocolateries. Avec une capacité de 70 000 tonnes, nous sommes le 4e opérateur en termes de capacité de broyage en Côte d’Ivoire. Le maillon final concerne le produit vendu au consommateur. Depuis un peu plus de deux ans, nous avons ouvert une chocolaterie qui fabrique localement des produits destinés au marché ivoirien dans un premier temps, puis au marché de l’Afrique de l’Ouest dans un second temps.

Vous êtes en situation de quasi-monopole à ce niveau en Côte d’Ivoire, même si d’autres opérateurs sont aussi présents. Quelle est votre stratégie de développement de la marque et de votre produit fini, le chocolat ?

Ce projet est venu naturellement car le groupe Cémoi est un chocolatier avant tout. Il y a deux ou trois ans, le gouvernement s’est montré intéressé par l’implantation d’investisseurs à ce niveau de la chaîne de valorisation du cacao. En tant que chocolatier, Cemoi a naturellement répondu présent pour contribuer au projet. Nous avons installé une chocolaterie d’une capacité initiale de 5000 tonnes, susceptible de doubler en fonction de l’évolution du marché. Cette politique est soutenue par tout le savoir-faire du groupe en matière de recherche et développement, grâce auquel Cémoi occupe sur le marché du chocolat la première place en France et la troisième place en Europe. Ce savoir-faire porte sur la production de tablettes de chocolat, de pâte à tartiner et de poudre de cacao, pour les préparations de boissons de petit-déjeuner notamment. Dans le cadre de ce projet, nous avons rencontré des difficultés, en particulier pour le développement du réseau de distribution. Une tablette de chocolat est un produit sensible à la chaleur, il a donc fallu imaginer des solutions innovantes pour assurer la distribution dans la plupart des commerces du pays. Nous avons pour cela fait appel à des entreprises spécialisées dans la distribution de proximité, et avons nous-mêmes développé le marché dans la région d’Abidjan. C’est pourquoi nous sommes de plus en plus visibles au travers de diverses campagnes publicitaires.

Quelle est votre politique d’internationalisation ?

Sur le marché ivoirien, la consommation reste assez faible et tourne autour de 25 g par an par habitant. En comparaison, les Européens consomment environ 10 kg par an par habitant. Mais notre objectif est de doubler ce chiffre pour arriver à 50 g par an par habitant, ce qui permettrait de recruter beaucoup plus de consommateurs. Car lors de nos nombreux déplacements dans les zones rurales, nous avons constaté que les Ivoiriens adorent le chocolat, il suffit de le leur faire découvrir. Notre premier défi consiste donc à développer la consommation et à rendre le produit accessible, notamment en nous adressant aux jeunes consommateurs. Dès que nous aurons assis notre activité en Côte d’Ivoire, nous pourrons, dans une seconde phase, aborder l’espace CEDEAO (Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest) qui représente 350 millions de consommateurs potentiels de chocolat. Le marché est énorme. Le chocolat n’étant pas un produit de première nécessité, il intéresserait en premier lieu une classe moyenne qui est en train de se former actuellement, comme le montrent de nombreuses études. Sur le plan stratégique, nos objectifs sont donc réalistes et notre PDG croit dans le développement de ce marché. Nous avons la ferme conviction que la consommation de chocolat va croître régulièrement dans les années à venir, ce qui permettra à des activités comme la nôtre de progresser proportionnellement.

Quelles sont vos priorités du moment ?

Nous souhaitons d’abord consolider notre programme Transparence Cacao. Notre but est d’atteindre environ 100 communautés de planteurs, c’est-à-dire 20 à 30 000 planteurs, pour qu’ils bénéficient de cette assistance de proximité, améliorent leurs conditions de vie et produisent un cacao de qualité. Notre taux de réalisation s’élève aujourd’hui à 30-40 % sur le terrain et nous partageons nos indicateurs avec nos différents partenaires, les bailleurs de fonds et les institutions comme le Conseil du Café-Cacao et la SODEFOR. Le deuxième défi consiste dans le développement de la consommation du chocolat, car c’est un produit de plaisir que nous souhaitons faire découvrir dans tout le pays. Le premier producteur mondial de cacao doit être capable de mettre le produit fini à disposition de ses populations. C’est une passion que nous partageons avec nos équipes. Par la suite, nous souhaitons atteindre la CEDEAO et d’autres régions. En termes de vision stratégique, nous voulons fournir du chocolat sur le marché asiatique d’ici 5 à 10 ans. C’est un marché en pleine croissance. Nous avons le savoir-faire et la matière première et avons l’ambition de vendre du chocolat « made in Côte d’Ivoire » en Chine, en Malaisie et en Indonésie. Voici, de manière stratifiée, l’approche stratégique du groupe Cémoi.

Quels sont vos avantages concurrentiels ?

Le fait que nous produisions du chocolat est un élément de différenciation et de positionnement essentiel par rapport à la concurrence. Nous ne sommes pas les plus gros acheteurs ou transformateurs de cacao. Mais notre singularité à produire du chocolat et le rendre accessible aux populations du pays nous place en position de leader dans l’industrie de la transformation du cacao.

N’y a-t-il pas d’autres opérateurs également présents sur ce segment du marché, comme au Ghana par exemple ?

Il existe en effet des entreprises ghanéennes qui fabriquent du chocolat. Mais notre savoir-faire et l’appui de nos équipes de recherche et développement nous donnent les atouts nécessaires pour nous tourner vers des marchés extérieurs, comme le Ghana ou le Nigéria.

Pour conclure, comment voyez-vous l’évolution de la société sur les trois prochaines années ?

En ce qui concerne le chocolat, nous voulons doubler la capacité de l’usine pour passer de 5 à 10 000 tonnes de production de chocolat, couvrir le marché potentiel que nous avons évalué dans l’espace de la CEDEAO et devenir ainsi le principal fournisseur de chocolat dans la région.

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