Interview avec Guillaume Koffi, Fondateur de Koffi & Diabaté Group
Guillaume Koffi explique quelle est sa vision en termes d’architecture. Fort d’une expérience de plus de 30 ans dans les études architecturales et le suivi de projets majeurs en Afrique, en 2001, il fonde Koffi & Diabaté Architectes (sur la base de son cabinet « SAU Guillaume Koffi » et de l’acquisition intellectuelle du travail de l’architecte « Louis Renard »), puis la holding, Koffi & Diabaté Group, en 2012.
Interview avec Guillaume Koffi, Fondateur et Président du Conseil d’Administration de Koffi & Diabaté Group
Pour commencer, pourriez-vous nous décrire votre vision en termes d’architecture ?
Pour parler d’une vision en termes d’architecture, il faut déjà parler du référentiel que nous avons par rapport à ce qui a pu forger notre vision par la suite. J’ai la chance d’avoir vécu à Abidjan, qui a été le fleuron de la ville moderne de l’Afrique pendant les années 70, avec une architecture qui rivalisait avec des ouvrages brésiliens ou sud-américains de façon générale. Malheureusement, ce développement fantastique a été brisé à un certain moment ; effectivement, après les années 80, cela a décliné. Mais je suis resté sur cette note positive, de cette Afrique moderne qui pouvait voir son développement les pieds enracinés dans la tradition mais la tête dans la modernité ; nous essayons aujourd’hui de renouer avec ce passé glorieux.
Ce que tout le monde perçoit, c’est plutôt un développement qui prend de la place, un développement chaotique… Quelle est votre opinion ?
Il y a des talents individuels, en architecture, en musique… Ce qui manque, c’est un chef d’orchestre qui fasse fonctionner tout cela. C’est un peu le rôle que nous nous sommes assigné, d’essayer d’avoir des actions qui servent un peu d’exemple pour arrêter cet étalage urbain, qui malheureusement est un constat sur tout le continent africain. Dans toutes les villes africaines, vous retrouvez plus ou moins la même vision, c’est un peu dommage : ce sont des villes qui sont plates, peu ou pas structurées, avec des voies engorgées… Comment renouer avec la planification urbaine, c’est là le vrai sujet.
La solution que vous avez trouvée, c’est de prendre les choses en main ; ne pas juste être un cabinet d’architecture qui conseille quelques personnes éclairées, mais mettre la main à la pâte et faire par vous-mêmes, c’est bien cela ?
Je suis resté sur cette note positive, de cette Afrique moderne qui pouvait voir son développement les pieds enracinés dans la tradition mais la tête dans la modernité ; nous essayons aujourd’hui de renouer avec ce passé glorieux.
Justement, l’architecte aujourd’hui, ce n’est plus cet artiste éclairé qui attend l’hypothétique client dans son cabinet, qui va venir le trouver parce qu’on reconnaît son talent ; aujourd’hui, il faut aller chercher les projets et véritablement avoir un rôle de chef d’orchestre comme je le disais. Cela va de la conception à la réalisation, en passant par la commercialisation, par l’exposition de notre vision du monde et de la ville. Il faut être une véritable force de proposition par rapport aux pouvoirs publics et leur dire qu’on peut faire autrement, inciter les populations à vivre différemment ; mais pour cela il faut donner l’exemple. C’est ce qui se passe à travers l’architecture : bâtir de façon concrète, mais aussi concevoir les choses de sorte à permettre aux gens de pouvoir habiter différemment, de changer leurs habitudes. Aujourd’hui, la tendance est à vivre dans des espaces de plus en plus réduits et à pouvoir partager des espaces beaucoup plus agréables tels que des jardins ou des espaces publics, en commun. Il faut donc inverser la tendance : arrêter l’étalage urbain et travailler sur des surfaces plus réduites, tout en offrant un maximum d’espaces verts aux populations.
Quels sont les réactions auxquelles vous faites face, de la part des gouvernements par exemple ?
Ce n’est pas toujours facile. En réalité, on force un peu l’ordre établi, on s’invite au débat public. Par nos réalisations, nous montrons l’exemple et nous démontrons que c’est possible. Nous avons en premier lieu un rôle d’éducation des décideurs pour qu’ils puissent avoir une méthodologie un peu différente de celle de l’État omniprésent qui décide de tout et qui impose son avis, alors que l’État reste un organe très impersonnel. Qui doit porter la vision de la ville moderne, si ce n’est l’architecte ?
Vous avez mis en place des projets qui sont devenus de véritables exemples.
Pour nous, la notion d’échelle est très importante. Pour construire 100 maisons, il faut déjà pouvoir en construire 10 ; pour en construire 10, il faut déjà pouvoir en faire une. Nous avons donc déjà commencé notre première opération en faisant 6 villas. Ça a été un bon succès commercial, mais une catastrophe financière pour nous, c’était effectivement la mutation d’un métier qui était très difficile, dans une période également très difficile. On construisait donc avec les apports des clients, et ça ne donnait pas de visibilité sur le développement du chantier, ce qui nous a obligés par la suite à structurer notre méthode de travail, en essayant déjà de maîtriser toute la chaîne de production, de la mobilisation du foncier, nécessaire pour pouvoir bâtir, à la structuration de la conception, de sorte à sortir des sentiers battus, et à mettre en application ces fameux concepts de développement durable, et à sortir de l’étalage urbain, ce qui demande une réflexion de plus en plus pointue. On vit dans un environnement où il n’y a pas de gros développements technologiques qui font avancer la construction ; on construit encore de façon très traditionnelle, et notre rôle était de pouvoir encadrer les ouvriers. On a de très bons artisans, mais qui ont de mauvaises habitudes ; il y a eu une espèce de perte de savoir-faire, avec ces fameuses crises que nous avons vécues. On a de très bons maçons, mais qui sans contrôle montaient des murs qui n’étaient pas très droits, et il fallait véritablement changer de méthode de construction, pour pouvoir construire plus sûr, plus rapide et plus fiable, pour ne pas avoir à reprendre certains ouvrages. Pour cela, il a fallu que nous structurions notre environnement de travail en montant nous-mêmes une entreprise de construction. Mobilisation du foncier, maîtrise de la construction, maîtrise de la réalisation, et maîtrise de la commercialisation. Que vend-on ? Pas des chaussures, pas du cacao, pas du pétrole ; on vend un mode de vie, plutôt qu’un habitat. Par rapport à cela, l’approche commerciale devait changer pour pouvoir rassurer les potentiels acquéreurs par rapport à l’environnement. Quand on voit une grue et une organisation de chantier, on se dit : « là, c’est sérieux ». Par la suite, quand on voit la qualité de la construction, qu’on peut faire visiter un chantier à des acquéreurs potentiels et qu’ils ne voient pas le chantier comme quelque chose de désorganisé et sale, qu’on ressent l’organisation qu’il y a derrière, cela donne tout de suite le sentiment qu’on aura au final un produit de qualité. Toute cette méthodologie, il a fallu la structurer et la mettre en place. Avec bien sûr, à la clé, la mobilisation financière, car il faut pouvoir faire financer ces projets-là. Pour cela, il a fallu convaincre nos partenaires financiers que la qualité d’un projet, c’est d’abord la qualité des intervenants : un bon architecte, un bon constructeur, un bon commercial, pour pouvoir boucler la chaîne.
Justement, sur cet aspect de mobilisation financière, vous avez évoqué des partenaires financiers. S’agit-il de banques, de fonds d’investissement, du secteur privé ? Êtes-vous satisfaits, et êtes-vous toujours en recherche de gens qui soient intéressés par votre approche architecturale originale et qui sont de potentiels investisseurs ?
Bien sûr, l’argent reste le nerf de la guerre, donc nous sommes en recherche de partenaires fiables qui puissent nous accompagner dans le financement de nos opérations et partagent notre vision. C’est la chose la plus importante. Nous avons commencé par un financement classique, à travers des banques. Mais le financement de l’immobilier nécessite des financements longs ; les banques préfèrent financer des matières premières, donc des opérations relativement courtes. Une opération immobilière, c’est au minimum 18 à 24 mois, et par la suite, avec les crédits acquéreurs, on va au-delà de 15/20 ans, cela nécessite des ressources longues. C’est pourquoi nous sommes ouverts à des partenariats, nous initions d’ailleurs des présentations à destination d’organismes financiers pour qu’ils comprennent un pe u mieux notre philosophie.
En termes de ressources humaines, dans un domaine technique et pointu comme le vôtre, trouve-t-on en Côte d’Ivoire les ressources nécessaires ?
Disons que c’est à deux volets. Sur le volet purement technique, bien entendu. Sur le volet créativité, qui est l’essence du métier d’architecte, c’est autre chose. C’est la raison pour laquelle nous avons initié la création d’une école d’architecture pour que nous puissions être le plus nombreux possible. Nous vivons dans un pays de 20 millions d’habitants, et nous sommes à peine 200 architectes, parmi lesquels environ 90 qui travaillent véritablement dans le privé et vivent de leur activité. C’est très peu. Il faudrait que nous réussissions à être 10 fois plus nombreux. Quand nous serons 2 000 architectes en Côte d’Ivoire, on ressentira la qualité de la réflexion architecturale sur les villes et là, on pourra véritablement changer les choses.
Avez-vous déjà ressenti l’effet de projets que vous avez menés à bien sur d’autres projets ?
Oui, et c’est un plaisir de voir que cette volonté de donner l’exemple fonctionne véritablement. Par exemple, à travers le projet des Résidences Chocolat que nous avons initié, on voit des « petits chocolats » qui se multiplient dans la ville, nous nous disons que nous sommes sur la voie de gagner notre pari, c’est-à-dire que cet exemple-là puisse prospérer par cercles concentriques et donner une véritable impulsion de changement à la ville.
Quelle est votre vision à moyen terme, disons dans 5 ans ? Que sera le cabinet, et que sera la ville d’Abidjan à votre avis ?
Nous voulons être le leader en termes d’habitats innovants. D’ici 10 à 20 ans, notre but est d’avoir enfin en Afrique une entreprise qui puisse nous survivre, qu’on puisse passer le témoin aux nouvelles générations. Nous considérons notre entreprise comme une espèce d’école où la formation est très importante, et nous remettons perpétuellement en cause notre façon de penser, notre vision et notre façon de faire. Nous expérimentons de nouvelles techniques de sorte de pouvoir s’adapter aux nouvelles technologies et susciter de nouvelles vocations. Aujourd’hui nous sommes en période de vacances, nous recevons des jeunes qui sortent du lycée et qui viennent faire des stages de découverte des métiers de l’architecture, de la construction et même des métiers financiers, puisque nous intégrons les opérations de montage financier en interne au niveau du groupe.
Envisagez-vous une expansion internationale en Afrique ?
On construit déjà à l’étranger. Nous avons déjà construit au Bénin, au Gabon, en Éthiopie ou encore au Sénégal.
Avez-vous des agences ailleurs ?
Non, pas pour l’instant. Aujourd’hui avec les moyens modernes de travail, on peut travailler sur toute l’Afrique depuis Abidjan. Si par la suite, nous devenions trop gros, nous l’envisagerions, mais nous préférons rester à taille humaine.
EN SAVOIR PLUS :
INTERVIEWS :
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