Groupe SIFCA : Un Acteur Majeur de l’Agro-Industrie Ouest-Africaine
Alassane Doumbia nous parle du secteur agro-industriel en Côte d’Ivoire et présente SIFCA, un Groupe ivoirien intervenant sur toute la chaîne de production, de la plantation à la commercialisation de l’huile de palme, du caoutchouc naturel et du sucre de canne. Il évoque également certains projets à venir et partage sa vision pour le futur du Groupe.
Interview avec Alassane Doumbia, PCA du Groupe SIFCA
Quelle est votre évaluation du secteur agro-industriel en Côte d’Ivoire, et plus particulièrement des filières dans lesquelles le Groupe SIFCA opère : l’huile de palme, le caoutchouc et le sucre ?
Globalement, on peut dire qu’en ce qui concerne le caoutchouc en Côte d’Ivoire, nous avons un développement relativement important de la production, lié notamment aux petits planteurs. Cette croissance va bientôt atteindre entre 600.000 et 700.000 tonnes de caoutchouc naturel.
En ce qui concerne le palmier, nous connaissons également une croissance mais il y a une concurrence aujourd’hui qui apparaît de plus en plus au niveau de la première transformation, c’est-à-dire du fruit vers l’huile de palme brute naturelle. Si nous arrivons à mettre en place le troisième plan palmier que souhaite faire le gouvernement, alors nous serons à même de produire autour de 500.000 tonnes d’huile de palme en Côte d’Ivoire, voir même un peu plus.
Concernant le sucre, la demande est telle qu’aujourd’hui la production locale commence à être limitée et il n’y a plus de stock tampon entre la consommation et la production, donc il faut qu’on investisse dans la production pour pouvoir correspondre à terme à la consommation.
Dans quelle mesure la variation des cours a un impact sur vos activités ?
Il est très important pour nous de montrer que le développement de SIFCA est fondé à la fois sur l’environnement qui nous entoure et sur l’écosystème, mais aussi sur le fait qu’il y ait un retour de la richesse à la population locale.
Nous sommes spécialisés dans les matières premières et le prix de ces matières premières évolue en fonction de l’offre et de la demande mondiale. La fluctuation a forcément un impact sur nous. Donc nous essayons de nous défaire au maximum de cette fluctuation. En ce qui concerne le palmier à huile, nous sommes présents dans toute la chaine intégrée, c’est à dire de la plantation jusqu’au consommateur final. L’idée est donc de développer davantage de produits à marque, et c’est ce que nous avons réussi à faire dans ce domaine. Concernant l’hévéa, nous subissons hélas l’évolution des cours. En effet lorsque les cours sont hauts nous avons la possibilité d’investir d’avantage et par conséquent nous réalisons plus de résultat, mais quand les cours sont bas nous en subissons les conséquences. Il n’y a qu’une seule chose qui dépend de nous, ce sont nos coûts de production. En effet depuis 3 ou 4 ans nous avons travaillé sur le coût de revient, que ce soit pour le caoutchouc, l’huile de palme ou le sucre. Aujourd’hui, même avec des cours relativement modestes, nous arrivons à avoir des bénéfices, ce qui n’aurait pas été le cas si nous avions gardé nos coûts de revient d’il y a 5 ou 6 ans. Notre travail au quotidien est donc de baisser les coûts, il n’y a que là où nous avons de la maîtrise.
Quels sont vos projets et priorités en ce moment ?
Comme nous sommes une entreprise sociale, nos priorités du moment sont tout d’abord axées sur le développement durable. L’huile de palme a été vraiment décriée à un moment donné, mais nous avons su démontrer que l’huile produite en Afrique n’est pas la même que celle venant d’Asie. Il est très important pour nous de montrer que le développement de SIFCA est fondé à la fois sur l’environnement qui nous entoure et sur l’écosystème, mais aussi sur le fait qu’il y ait un retour de la richesse à la population locale. D’ailleurs, à ce propos, nous nous engageons sur la RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil), c’est à dire la table ronde sur l’huile de palme durable, et nous allons certifier progressivement l’ensemble de nos plantations RSPO dans les mois à venir. La table ronde assure la promotion de pratiques de production de l’huile de palme permettant de réduire la déforestation, de préserver la biodiversité, et de respecter les moyens de subsistance des communautés rurales dans les pays producteurs d’huile. Elle s’assure qu’aucune nouvelle forêt primaire ou autre espace à haute valeur de conservation ne soit sacrifié pour des plantations d’huile de palme, que les plantations appliquent les meilleures pratiques acceptées, et que les droits fondamentaux et les conditions de vie de millions de travailleurs dans les plantations, de petits agriculteurs et de populations autochtones soient respectés.
Pouvez-vous nous en dire plus par rapport à votre engagement contre la déforestation ?
Les plans palmiers développés par le gouvernement en Côte d’Ivoire sont aujourd’hui des vergers relativement vieux et il y a possibilité d’augmenter les rendements des plantations des petits planteurs que nous accompagnons tous les jours. Aujourd’hui nous produisons entre 5 et 7 tonnes à l’hectare alors que l’on pourrait en produire 18. Imaginez si l’on arrive à augmenter ce rendement de seulement 3 ou 4 tonnes à l’hectare, on exploserait la production rien qu’en remplaçant les vergers actuels, donc nous ne deforestons pas mais nous replantons, ceci est la première chose. La deuxième chose est que le palmier ne vient pas détruire la forêt dans les zones où les plantations de cacao ou d’autres produits existaient auparavant, souvent nous remplaçons d’autres cultures avec du palmier ou de l’hévéa. Ensuite, chez nous en Afrique, le palmier nourrit 60.000 à 70.000 personnes qui vivent directement de cela, et ceci l’est d’avantage pour l’hévéa, donc nous gardons la population dans les zones rurales, nous fixons la richesse dans ces zones en ne détruisant pas la forêt, et nous préservons l’environnement en fixant le taux de carbone avec nos plantations pérennes.
Par ailleurs, nous avons mis en place un projet de production d’électricité à base de biomasse appelé Biokala. Ce projet présente un double avantage. Tout d’abord la Côte d’Ivoire a des besoins énergétiques croissants. Notre objectif est donc de produire 150 à 200 MW à échéance 10 ans (1 000 à 1 500 Gwh par an). Ensuite, avec la biomasse palmier que nous utilisons, nous allons pouvoir financer en partie les vergers des petits planteurs, donc d’un côté nous remplaçons les vergers et nous augmentons le rendement des plantations, et de l’autre nous créons de la biomasse ad vitam aeternam. Le recours à ces matières permet de réduire considérablement d’une part, la quantité de CO² rejetée dans l’atmosphère, et d’autre part, les coûts énergétiques. Donc nous participons vraiment à la problématique du réchauffement climatique dans nos activités. J’ai lu dernièrement qu’en Asie des gens brulaient des forêts dans les plantations or ce n’est vraiment pas le cas chez nous.
Quels sont les principaux défis à surmonter en termes de financement ? Beaucoup d’entreprises ivoiriennes ont des problèmes de financement qu’elles peuvent trouver auprès des banques, des bailleurs de fonds ou des fonds de développement.
Oui, c’est vrai que le financement dans la sous-région est un véritable problème. Tout le monde dit qu’il y a de l’argent et que ce sont les projets qui manquent, sauf que l’argent va vers des projets qui ne sont pas les nôtre. Nous sommes dans des plantations pérennes, qui ont certes une gestation relativement longue, mais qui permettent de développer de la richesse auprès de la population. La problématique de l’argent disponible concerne essentiellement le taux d’intérêt. Comment être compétitif aujourd’hui par rapport aux planteurs asiatiques et à nos concurrents si le coût de l’argent est relativement plus élevé, 4 à 5 points de plus que dans ces pays ? Pour que nous puissions avoir une croissance de l’agriculture en général et une croissance inclusive en particulier, nous avons besoin d’avoir du financement adapté à l’agriculture. Ceci peut être fait avec les bailleurs de fonds ainsi qu’à travers des fonds d’investissement qui soient dédiés et qui ne soient pas pressés de sortir immédiatement des investissements, mais qui soient prêts à prendre des risques sur de plus longs termes, 10 ans voir 12 ans dans certains cas, c’est comme cela que nous serions sûr de pouvoir développer l’agriculture en Afrique d’une manière exponentielle.
Qu’avez-vous à dire concernant les autres défis, comme la disponibilité des terres par exemple ?
Une entreprise qui ne se développe pas, qui n’acquière pas des terres ou qui n’augmente pas en volume est vouée à disparaitre, car les concurrents viendront et auront une économie d’échelle qui fera qu’elle ne sera plus du tout compétitive. Pour nous il est extrêmement important, et c’est ce que nous faisons chaque année, de grandir dans les zones où nous sommes, et dans ces zones les vraies problématiques que nous rencontrons sont les titres fonciers, car pour nous ces derniers sont un élément clé pour pouvoir dire que nous sommes propriétaire de l’environnement, mais aussi pour pouvoir aider nos partenaires à développer leurs plantations. En effet, lorsque les bailleurs de fonds leur demanderont une garantie, ils devront être en mesure de prouver que les terres leurs appartiennent pour ainsi pouvoir financer ces activités. La problématique des titres foncier est un réel problème, pas seulement en Côte d’Ivoire mais aussi dans d’autres pays, même si au Libéria, au Ghana et au Nigéria, l’Etat cherche à trouver des solutions, comme par exemple des concessions, mais la réalité c’est que les titres fonciers restent un vrai problème.
Vous êtes présents dans six pays et vous êtes le premier employeur en Côte d’Ivoire avec 28.000 employés. Quelles sont vos activités à l’étranger ? Produisez-vous du sucre, du caoutchouc et de l’huile de palme partout, ou est-ce que cela dépend des pays ? Quelle est votre stratégie par rapport à l’international ?
Globalement le palmier et l’hévéa poussent à 5° au nord et au sud de l’Equateur, donc on ne peut développer ce genre plantations que dans ces zones. Nous sommes présents dans les pays s’étendant du Sénégal jusqu’au Nigéria, sachant que nous avons une structure de commercialisation en France qui est la sous-holding du pôle caoutchouc.
Au Sénégal nous ne faisons que de la distribution d’huile avec une partie industrielle, c’est-à-dire que nous distribuons et nous faisons du conditionnement d’huile que nous vendons sur le marché local.
Le Libéria présente des conditions favorables pour tout ce qui est développement du palmier et de l’hévéa, donc nous sommes présents dans ces deux activités, avec une prédominance du palmier. Aujourd’hui nous en avons planté un peu plus de 8.000 hectares et la tendance voudrait que l’on aille au-delà. La première usine sera prête d’ici 2 ans et nous sommes en train d’y travailler en ce moment. En ce qui concerne l’hévéa, nous avons 5.000 hectares plantés et nous attendons de voir comment tout cela évolue.
Concernant la Côte d’Ivoire, qui est notre base et où nous avons l’ensemble de nos plus gros actifs, nous sommes présents dans les dans le palmier, l’hévéa e le sucre. Ce dernier n’est d’ailleurs produit qu’en Côte d’Ivoire pour le moment.
Au Ghana nous sommes dans les activités hévéa et huile de palme avec notre partenaire Vilma.
Quant au Nigéria, pour l’instant nous ne sommes que dans l’hévéa mais avons pour ambition de produire de l’huile de palme dans les années à venir Nous avons identifié des terres et possédons une structure déjà existante que l’on utilisera afin de réduire nos frais généraux, ainsi que des personnes qui sont habituées au terrain et qui seront à même de mener ce projet à bien.
Pourriez-vous nous dire quelques mots sur la Fondation SIFCA ?
En 2014, nous avons donc décidé de mettre en place une fondation ayant pour but de contribuer à freiner l’exode rural, participer au bien-être des populations rurales, agir pour à la préservation de l’environnement et de la biodiversité, partager les bonnes pratiques du Groupe SIFCA et favoriser un mécénat de compétences. La fondation est basée sur 3 axes d’intervention principaux : l’éducation, l’environnement et l’axe santé et sport. Dans ce domaine, nous avons participé à l’événement Special Olympics à Los Angeles en 2015 où la Côte d’Ivoire s’est classée à la première place des pays d’Afrique avec 30 médailles gagnées. Ensuite en termes d’éducation, nous avons mené des projets de cantines scolaires destinés aux enfants des régions rurales afin d’aider ces enfants à retrouver le chemin de l’école, car sans cantine certains désertaient assez rapidement les bancs de l’école. Enfin concernant notre dernier axe qui est l’environnement, nous avons conclu un accord avec le gouvernement, à savoir l’OIPR (l’Office Ivoirien des Parcs et Réserves) pour la préservation des forêts et notamment du parc du Banco à Abidjan.
Quelle est votre ambition pour SIFCA dans les trois années à venir ?
Je vois SIFCA comme une entreprise responsable, éthique et leader dans ces activités. Ceci dit, trois ans c’est un terme relativement court dans notre métier. Disons que dans dix ans je vois l’entreprise représenter plus d’un million de tonnes d’huile de palme, plus de 400.000 tonnes de caoutchouc naturel et 200.000 tonnes de sucre, avec la production d’électricité que nous aurons développé.