Secteur Agricole en Côte d’Ivoire
Mamadou Sangafowa Coulibaly, Ministre de l’Agriculture de la Côte d’Ivoire
Agriculture en Côte d’Ivoire a connu trois grandes phases, l’une de croissance après l’indépendance a été suivie par la phase de crise qui a duré jusqu’en 1990. Depuis lors, l’agriculture en Côte d’Ivoire n’a pas été en mesure de reprendre la croissance durable.
Interview with Mamadou Sangafowa Coulibaly, Ministre de l’Agriculture de la Côte d’Ivoire
Vous avez déclaré que le programme national d’investissement agricole a pour ambition de consacrer 10% du budget national au secteur agricole, afin d’assurer la sécurité alimentaire et de porter la croissance du secteur à 8,9%. Pouvez-vous nous décrire le plan d’action, ses spécificités et ses effets attendus? Que représente-il pour la Côte d’Ivoire? Comment l’envisagez-vous en pratique?
Merci pour l’opportunité que vous me donnez de parler d’un programme très important pour le secteur. Mais avant, je voudrais quand même rappeler le contexte dans lequel nous avons dû adopter ce programme. Vous savez que l’agriculture ivoirienne a connu trois grandes phases. Il y a une phase de croissance au lendemain des indépendances, qui était due à une volonté politique de baser le développement de l’économie sur le secteur agricole. Donc, c’est une première phase jusqu’aux années 80, qui a connu les lettres de noblesse du secteur agricole chez nous. Cela a permis de développer les infrastructures, de développer l’économie de manière générale.
Ensuite, il y a eu une phase de crise à partir des années 80 jusqu’aux années 90. Et là, on était obligé maintenant de restructurer le secteur avec plus de partenaires au développement, avec un désengagement de l’État. Aujourd’hui, depuis cette période jusqu’à maintenant, le constat qu’on peut faire, c’est que notre secteur n’a pas encore trouvé les ressources pour être relancé sur la voie de la croissance durable. C’est pour cela que nous avons considéré qu’il fallait adopter un programme dont le but justement est vraiment de relancer le secteur agricole de manière durable.
Ceci étant dit, je vais revenir à votre question. L’objet du programme national d’investissement agricole est d’apporter de la croissance au secteur. Et la croissance du secteur agricole a un effet induit sur la croissance de l’économie de manière générale. C’est un secteur qui offre 2/3 des emplois et par lequel on peut lutter contre la pauvreté. Et c’est pour cela que l’objectif du programme national d’investissement agricole c’est justement de consacrer au minimum 10% des ressources publiques à l’agriculture; et ensuite il y aura d’autres ressources extérieures avec les partenaires au développement. Le programme national d’investissement lui-même est chiffré autour de mille milliards sur les cinq ans. Donc, cela nous permettra d’avoir une croissance du secteur de près de 9% et de lutter efficacement contre la pauvreté. Je vous signale au passage que quand quatre personnes sortent de la pauvreté dans notre pays, trois le sont grâce au secteur agricole.
Donc, c’est un programme national d’investissement qui s’arrime à la politique d’agricole commune de la sous-région, c’est-à-dire au programme régional d’investissement, qui lui-même est indexé sur le programme africain, le Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture Africaine (PDDAA,). Donc, nous comptons tirer les effets bénéfiques des synergies induites de la cohérence entre notre programme national d’investissement agricole et le contexte sous-régional et régional.
Pensez-vous que les entreprises internationales aient un rôle à jouer au sein de ce plan d’action?
Tout à fait, parce que le programme national d’investissement a un certain nombre de principes. Le premier, c’est qu’il part de priorités nationales. C’est-à-dire que nous l’avons élaboré en disant de quoi notre secteur agricole a besoin pour son développement. Ainsi, les études ont montré que, pour notre agriculture, il faudra désormais mettre l’accent sur la sécurité alimentaire et identifier les filières qui sont porteuses de croissances. C’est la première chose. Le deuxième principe, c’est une approche participative. Il ne s’agit pas pour les puissances publiques de penser et de dire, «Voilà ce qui est bien pour le secteur privé ou bien pour les producteurs.»
Donc, le principe du programme national d’investissement, c’est de faire participer tous ceux là, et c’est pour ça que nous avons signé un pacte entre l’État, les institutions sous-régionales que sont la CEDEAO, l’Union africaine, les partenaires au développement, notamment les partenaires techniques et financiers du secteur privé, qu’ils soient nationaux ou internationaux, mais aussi de la société civile et des ONG. C’est un programme qui a eu des étapes participatives et dont la mise en œuvre a fait l’objet de signatures d’un pacte. C’est pour cela que nous pensons qu’il a des grandes chances de connaître un succès.
Quand nous prenons, par exemple, la filière café-cacao, nous sommes aujourd’hui à 35% de première transformation de nos produits locaux. Et l’objectif d’ici 2015 c’est de parvenir au moins à 50% de la transformation, en se disant que tout ça devrait non seulement permettre de créer des emplois, mais avoir de la valeur ajoutée. Ça c’est la filière café-cacao.
L’autre principe, c’est le suivi de la mise en œuvre du programme. Vous savez, en général la difficulté qu’on, a ce n’est pas toujours de formuler des politiques. Mais c’est d’avoir les moyens de les mettre en œuvre. Et même quand les moyens sont là, il faut qu’il ait une utilisation efficiente de ces moyens. Parce que nous avons noté dans l’étude que nous avons menée que la qualité de la dépense agricole est faible en Côte d’Ivoire par rapport à la moyenne africaine. La dépense dans notre pays est de 1%. Cela induit une croissance du secteur agricole de 0,245, alors que la moyenne africaine est 0,356. Ce qui n’est déjà bas bon au plan international. Donc, quand on accorde des ressources au secteur, il faut qu’on s’assure que ces études induisent la croissance dans le secteur. C’est pour cela que nous avons souhaité que la part du budget qui sera consacrée soit utilisée de manière efficiente, d’une part, et d’autre part, nous pensons que c’est un problème qui doit être le fait du secteur privé, qui aura intérêt à investir parce qu’il y aura un retour sur l’investissement.
On a parlé des ressources qui sont un défi majeur. L’agriculture n’a plus d’investissements notables depuis des décennies. Comment envisagez-vous la question de ressources alliées au ministère?
Vous avez raison parce que, comme je vous l’ai dit, notre secteur a connu trois phases en général de développement. Il y a eu la phase après les indépendances où il y a eu un investissement massif de l’état dans le secteur, y compris dans la production, la commercialisation. Évidemment, ce n’est pas le rôle de l’état de faire ça. Mais pour propulser le secteur, l’état avait un rôle pionnier à jouer. Après cette phase, le secteur est rentré en crise. Et du fait de la crise, il a été demandé à l’état de se désengager. Simplement, l’ État, en se désengageant, l’a de manière brutale. La contribution de l’ État au secteur, comme vous l’avez dit, en 81 déjà où la part de l’état avait commencé à régresser, était à 25% du budget national. Depuis 2007, nous sommes à 1,7; c’est pratiquement un désengagement total.
Donc, l’ambition de l’actuel gouvernement et les instructions que le chef de l’état a données, c’est de remettre l’agriculture au centre du développement économique. Donc, la part du budget va connaître une croissance entre 10 et 15%. Mais, il faut savoir aussi que c’était un engagement de notre pays à Maputo en 2003 par rapport au programme national d’investissement agricole où les États africains se sont engagés à développer le secteur agricole dans leurs pays et à consacrer au moins 10% de leurs ressources nationales au développement du secteur, en vue de réduire la pauvreté pour atteindre l’objectif du millénaire et aussi créer des emplois et créer de la croissance économique.
Quels sont les marchés les plus porteurs sur le plan des exportations agricoles de Côte d’Ivoire? En fait, c’est un défi majeur, parce que c’est vrai que la Côte d’Ivoire produit du cacao, mais la transformation est faite ailleurs.
Là, vous touchez la question de la transformation de nos produits de base. Je pense que nous avons encore des efforts à faire; cela dépend des filières. Quand nous prenons, par exemple, la filière café-cacao, nous sommes aujourd’hui à 35% de première transformation de nos produits locaux. Et l’objectif d’ici 2015, c’est de parvenir au moins à 50% de la transformation, en se disant que tout cela devrait non seulement permettre de créer des emplois, mais avoir de la valeur ajoutée. La filière anacarde par contre, qui a connu un développement vertigineux ces vingt dernières années, a un très faible taux de transformation. Moins de 2% des noix de cajou bruts sont transformées localement. Nous sommes le premier pays producteur africain de noix bruts aujourd’hui. Nous sommes le premier pays mondial exportateur de noix bruts.
Nous avons encore aujourd’hui de la marge pour transformer localement nos produits. La question, ce sont les marchés, et vous avez bien fait de les souligner. La Côte d’Ivoire a une position stratégique à deux points de vues, nos infrastructures où le coût de l’électricité. Par rapport à la sous-région aussi, cet espace de près de 200 millions de consommateurs, nous pensons que la Côte d’Ivoire est une porte en d’entrée idéale. Nous pouvons bien orienter l’industrie sur ce marché déjà, qui est un marché non-négligeable. Nous avons déjà des industries de transformation, notamment dans le sucre où nous vendons jusqu’au Nigeria. Mais, nous avons l’huile de palme. La Côte d’Ivoire a les moyens de satisfaire les besoins de la sous-région en matière d’huile de palme. Aujourd’hui, sur l’huile de palme, nous sommes très avancés dans la transformation.
Maintenant, quand vous prenez un autre produit comme le café ou le cacao, comme je le dis, ce sont des produits semi-finis. Nous n’allons pas jusqu’à la plaquette de chocolat. Tout simplement parce que les normes sanitaires, les exigences des pays qui consomment ces produits sont telles qu’il y a encore une barrière psychologique. Est-ce qu’ils sont sûrs que les normes qualitatives sont respectées dans les unités, même si ce sont les unités de leurs nationalités qui viennent s’installer ici. Ce que nous comprenons bien, ce sont des choses qui vont évoluer dans le temps.
Mais nous aussi, nous avons un devoir de commencer à consommer ce que nous produisons. C’est pour ça que dans la stratégie que nous préconisons, nous avons estimé qu’il faut faire la promotion d’une petite unité de transformation qui va aussi aller jusqu’au produit fini pour un marché de 200 millions de consommateurs. Je pense que cela pourra permettre de développer le tissu industriel local.
Est-ce que vous pouvez nous donner une vision stratégique pour le futur? Il faut aussi souligner l’aspect de développement durable.
Le développement durable est une question que nous devons intégrer à cause des conséquences sur le changement climatique. Déjà, en Côte d’Ivoire, nous sommes partis de 16 millions d’hectares de forêt, en moins d’un siècle, à 2,5 millions d’hectares de forêt. Nous avons pratiquement décimé notre patrimoine forestier. La première chose, c’est déjà de préserver les ressources naturelles et de les réhabiliter. Cela va contribuer à la durabilité de notre système de production agricole. Évidemment, la deuxième chose, c’est d’avoir un programme de relance du secteur.
Donc, les questions de durabilité sont des questions essentielles, comme le sont les conditions de travail et le cadre de vie des agriculteurs. Il faut qu’ils aient des infrastructures de base. Il faut qu’ils aient l’eau potable. Il faut qu’ils aient accès à l’électricité, à l’éducation, et qu’ils travaillent dans des de bonnes conditions. Et vous savez très bien aujourd’hui que les marchés sont de plus en plus exigeants sur les normes. Il y a des normes économiques pour produire, mais il y a des normes sociales et des normes environnementales qui sont des questions bien présentes, comme dans le programme national d’investissement agricole.
Comment sera la Côte d’Ivoire dans cinq ans, idéalement, au niveau de votre secteur?
C’est une question importante. Dans cinq ans, ce que nous voulons avoir, c’est un secteur agricole performant, où l’État n’aura pratiquement plus de rôle à jouer et se repliera sur son rôle régalien. Avoir un secteur privé performant, ça veut dire qu’il faut qu’on ait des producteurs qui soient professionnels, qui maîtrisent la production dans toute la chaîne et qui puissent avoir des revenus substantiels qu’ils tirent de leur métier qu’ils se retrouvent au sein d’interprofession où ils défendent clairement leurs intérêts et que l’État concède aux interprofessions la gestion des filières agricoles.
C’est pour qu’on ait une agriculture modernisée, qui ait la maîtrise de l’eau, qui puisse avoir une bonne capacité de productivité et de compétitivité, parce que nous avons deux axes en ce qui concerne notre agriculture. Il y a une agriculture orientée vers les besoins internes, notamment vers les besoins alimentaires de notre pays et de la sous-région. Mais à côté, nous avons l’ambition aussi de rester sur le marché international et être compétitif en ce qui concerne les cultures de rente qui nous rapportent des devises et qui permettent de faire des investissements pour développer notre pays.