Production Agricole en Côte d’Ivoire
Dr. Tiémoko Yo, Director Géneral de CNRA
Le CNRA est une société principaux de recherche agricole en Côte d’Ivoire. La société se concentre sur la production agricole. Comme le résultat d’une recherche continue, le CNRA a mis au point des innovations importantes telles que les plantes commerciales résistantes à certaines maladies.
Interview avec Dr. Tiémoko Yo, Director Géneral de CNRA
La perte de la croissance agricole est estimée à 7% à cause de la crise postélectorale. Comment évaluez-vous le secteur agricole en Côte d’Ivoire? Quelles sont les perspectives pour 2012?
Si je me réfère dans le secteur agricole en Côte d’Ivoire aux performances qui ont été réalisées par les principales productions agro-industrielles, je peux dire que le secteur agricole en Côte d’Ivoire a bien traversé la crise. Si nous prenons comme exemple les principales productions du cacao, cette année la Cote d’Ivoire a atteint un niveau de production record de 1.2 million de tonnes. Il consolide donc sa place de leader mondial en termes de production de cacao. Pour les autres productions telles que le caoutchouc, nous sommes à 230 mille tonnes. Là aussi, le pays consolide sa place de leader africain. Au niveau de l’huile de palme, la production a atteint un niveau de 350 mille tonnes. Ce qui est aussi une nette progression. Pour la noix de cajou, on a fait 400 mille tonnes, ce qui a fait de nous le premier producteur en Afrique et le premier exportateur de noix de cajou dans le monde. Il y a quelques secteurs qui ont été plus affectés par la crise comme le secteur de coton et de la production du café. Mais vu globalement, on peut dire que le secteur agricole en Côte d’Ivoire a bien traversé la crise et que les années à venir offrent des perspectives meilleures d’une croissance plus grande.
Quels sont les principaux défis pour le secteur agroalimentaire ivoirien?
Les défis sont nombreux. À long terme, les défis sont d’abord en terme de productivité, on peut aussi évoquer le défi de la qualité de produit à mettre sur la marche et effectivement le défi de la compétitivité. En terme de productivité, l’agriculture nationale de la Côte d’Ivoire n’est pas encore à un niveau assez élevé par ce que les utilisations des outils de l’innovation technologique mis au point par la recherche n’est pas a un niveau approprie dans tous les secteurs. L’utilisation des comme des engrais, le niveau de la formation des producteurs n’est pas dans un niveau optimal si bien que dans beaucoup des secteurs notamment dans le secteur de la production vivrière, les rendements obtenus sont encore trop faibles.
Au niveau de la qualité, le secteur agricole en Côte d’Ivoire est tournée vers l’exportation et au niveau international sur les marches. Il y a de plus en plus des normes qui sont contraignantes. Il s’agit des normes nutritionnelles, technologiques et sanitaires, mais il s’agit aussi des normes environnementales et même sociales comme les conditions dans lesquelles ces productions sont faites. La qualité est un défi important pour cette agriculture et pour demain. Je crois aussi que la compétitivité est un acteur majeur par ce que notre agriculture est en compétition avec les productions faites en Amérique de sud et en Asie et nous devrons être compétitives. Nous avons pour certains produits bénéficiés pour les années passées de certaines protections tarifaires au niveau de l’entrée à l’Europe. Cette protection avec la mondialisation est en train de disparaître. Certains secteurs comme ceux de la production de bananes et de fruits sont déjà en position difficile parce qu’ils n’ont su s’adapter rapidement. C’est un challenge important pour la future et pour le secteur agricole ivoirienne d’être compétitive vis-à-vis de ces conquérants.
Aujourd’hui les producteurs de cacao sont en train de renouveler leurs vergés avec une nouvelle variété de cacao qui a une production très élevée, qui est très précoce et qui rentre en production après un an et demi; et qui produit des fèves d’une qualité très appréciée des industriels.
Est-ce que vous pouvez nous présenter CNRA Côte d’Ivoire?
Notre centre est un centre de recherche agricole de la Côte d’Ivoire. Notre fonction est de mettre au point des innovations technologiques, d’élaborer des connaissances nouvelles dans l’utilisation par les producteurs agricoles en Côte d’Ivoire qui permettre, de renforcer la compétitivité. Sur ce plan, nous avons effectué beaucoup de recherches et nous avons mis beaucoup des acquis a la disposition des productions agricoles et agro industriels notamment la création d’une nouvelle variété de plantes qui sont plus productives et plus adaptées a l’environnement, plus résistante aux maladies qui existent.
Aujourd’hui les producteurs de cacao sont en train de renouveler leurs vergés avec une nouvelle variété de cacao qui a une production très élevée, qui est très précoce et qui rentre en production après un an et demi; et qui produit des fèves d’une qualité très appréciée des industriels. Au niveau du palmier, nous avons des variétés très adaptées non seulement à l’environnement ivoirien, mais à l’environnement africain en général. Notre centre est un des leaders au niveau mondial en matière de production de semences de palmiers de qualité et nos procédures sont certifiées ISO 9001. Nous avons beaucoup travaillé sur la qualité. Donc le secteur se développe en Côte d’Ivoire, parce que le CNRA Côte d’Ivoire a mis au point des variétés très performantes, donc compétitives. Au niveau de la production vivrière, notre centre a eu beaucoup d’acquis en améliorant les performances des cultures comme le manioc. Notre centre a donc pu contribuer à mettre à la disposition de l’agriculture des éléments pour renforcer sa productivité. Il en est de même pour les techniques mises au point pour freiner l’impact des maladies qui attaquent les plantes. Il en est de même en matière de transfert, de formation avec les techniciens.
J’imagine que mondialement, il y a l’entreprise Monsanto aux États-Unis qui font des recherches génétiques. Quel est votre avantage comparé aux autres compagnies qui font aussi de la recherche très forte? Qu’est-ce qui vous différencie par rapport aux autres?
La recherche est une activité qui doit être ouverte pour bénéficier de partenariats aux niveaux national, régional et international. Sur ce point, notre centre est un acteur principal en matière de partenariats en Afrique. Nous avons en Afrique une organisation qui fédère toutes les organisations de recherches agricoles en Afrique et qui coordonne la recherche agricole en Afrique. Actuellement, nous assumons la présidence de cette organisation, ce qui vous dit que notre centre est impliqué dans le partenariat africain. Nous travaillons d’abord pour développer le secteur agricole au niveau national et notre force principale, c’est la bonne connaissance du terrain, des besoins des producteurs, de la production agricole en Côte d’Ivoire.
Notre centre a axé son temps sur la gestion participative des demandes des producteurs. Donc nous conduisons un programme de recherche et cela nous permet de mettre au point des innovations qui correspondent aux solutions des demandes des producteurs. Nous sommes encrés dans le terroir de la Côte d’Ivoire et nous sommes très proches des producteurs agricoles, mais en même temps avec les partenariats que nous avons, nous sommes en mesure d’utiliser des technologies de dernière génération, comme les biotechnologies qui sont des outils de pointe qui permettent aujourd’hui de résoudre beaucoup plus rapidement les problèmes. Ces partenariats nous permettent en même temps d’être au fait des nouvelles technologies et d’utiliser les avantages de ces avancées technologiques au profit des producteurs agricoles de la Côte d’Ivoire.
Selon vous, quel est le plus grand défi pour vous? Est-ce le financement? La promotion? La recherche de partenaires? La stratégie de communication entre vous et les producteurs? Quelle est la valeur vos acquis, vos recherches par rapport aux autres pays qui ont une agriculture similaire à la votre?
Ici, comme dans beaucoup de pays africains, les quinze dernières années l’agriculture a été l’objet d’un sous-investissement en matière de politique agricole nationale. Pendant cette période, les ressources publiques affectées à la recherche agricole ont été inférieures à 5% du budget, on parle même de 2%. C’est très faible, surtout pour un pays dont l’économie repose sur le secteur agricole. Le secteur agricole est un secteur clef de l’économie de la Côte d’Ivoire, c’est le secteur qui produit le plus de ressources de la Côte d’Ivoire. C’est le secteur qui emploie le plus de personnes. C’est le secteur dont le développement peut contribuer plus rapidement à diminuer la pauvreté dans les milieux ruraux. Donc, le défi clef au niveau national, c’est d’affecter des ressources de niveau adéquat à l’agriculture.
Maintenant, au niveau sectoriel, ce qui limite encore probablement l’impact de la recherche sur le développement agricole au niveau des producteurs, c’est peut-être de mettre en place d’un mécanisme plus efficace de transferts de technologies, de la recherche au producteur. Si nous mettons au point une variété plus performante de riz, cela ne suffit pas pour que la production et l’exploitation des paysans augmentent. Il faut mettre des mécanismes en place pour multiplier ces variétés performantes de semence pour transférer chez les producteurs. Il faut mettre des mécanismes en place pour fournir aux producteurs des fertilisants, des engrais appropriés à des prix accessibles. Il faut être capable de former les paysans à l’utilisation de ces variétés, de ces intrants. C’est tout cet encrage qu’il faut mettre en place et qui n’a probablement pas fonctionné jusqu’à présent. Les niveaux de performances acquis par la recherche ne sont pas toujours représentés au niveau de la production sur le terrain. C’est un défi important, qu’il faut relever à l’avenir.
Le premier défi concerne les ressources accordées à la recherche. Justement, est-ce que vous retirez un bénéfice de l’exportation de votre savoir-faire vers les autres pays?
Notre structure n’est pas commerciale. Nous valorisons une partie de nos résultats, nos semences, en les vendant, ici et à l’extérieur. Cependant, tous les revenus tirés de ces produits sont réinjectés dans la recherche, pour la poursuivre. Ils sont donc réinvestis dans l’intérêt du producteur. Ce que l’on fait ici est un service public, qui s’apparente dans la gestion à un service privé, mais dans le fond c’est un service public. La politique de recherche agricole est d’abord et avant tout au service des producteurs nationaux. Bien entendu, il a des secteurs sur lesquels nos produits sont demandés ailleurs sur le plan international et nous les mettons au service de ces producteurs-là également. Le cas le plus important, c’est les semences du palmier à l’huile où nous sommes parmi les principaux producteurs au monde. Notre centre produit à peu près 10% de la demande mondiale de ce produit. Ce qui n’est pas négligeable.
Ma question étant spécifique, quels sont les produits que vous voulez valoriser, mettre de l’avant, que vous voulez promouvoir, mettre en valeur?
À l’étranger, notre produit phare c’est les semences de palmier de l’huile. Nous avons sur ce produit bien adapté notre recherche, non seulement aux besoins de nos producteurs nationaux, parce que c’est notre première mission, mais nous avons également pris en compte les exigences et les besoins des producteurs dans d’autres pays, sur d’autres continents. Donc aujourd’hui, nos semences de palmier à l’huile ont des qualités qui permettent de s’adapter au climat et à l’environnement de l’Amérique du Sud. Elles sont résistantes à des maladies spécifiques qui existent en l’Amérique du Sud.
Ces semences ont également des spécificités qui permettent de s’adapter à pratiquement à l’environnement de tous les pays africains jusqu’aux zones montagneuses du Burundi et au Rwanda. Nous exportons régulièrement nos semences en ces contrées. Donc, le produit qui est de l’avant sur le plan international, c’est celui-là. C’est pour cela que nous avons commencé notre certification ISO pour ce produit. Ceci dit, tous les autres produits, que ce soit le cacao, le café, le mais, les semences que nous produisons, sont produites respectant la même rigueur, les mêmes exigences de qualité. Nous avons simplement voulu démontrer par la certification de l’un de nos produits que le Centre a le respect des normes internationales de qualité.
Comment expliquez-vous alors que pendant ce temps-là des géants comme Vimar et Olam, ils ont une compétitivité supérieure et produisent de l’huile de palme à moitié prix? Un de leurs défis c’est d’ailleurs de valoriser l’huile de palme des sous-régions. Est-ce que Vimar et Olam peuvent devenir votre partenaire?
D’abord, nous sommes déjà partenaires. Nous travaillons déjà ensemble. Cette structure s’approvisionne ici pour les semences de plantations qu’elle crée ici ou dans d’autres pays africains. Donc, je peux affirmer que nous sommes déjà partenaires. Pour répondre à votre question sur la compétitivité, il y a en ce qui concerne l’huile de palme deux facteurs clefs. D’abord, il y a le système de production du palmier à l’huile à partir des semences. Nos semences ont un potentiel de près de 25 tonnes, mais il faut que la production soit offerte dans des conditions optimales qui permettent d’extérioriser ce potentiel. Il y a des agro-industries aujourd’hui, telles que celles que vous avez citées, qui travaillent avec Sifca et qui sont sur la voie d’atteindre un niveau optimal de production avec des semences. Ils sont en amélioration et ils parviennent maintenant à atteindre 20 tonnes par hectare et vous avez écouté les petits planteurs privés qui ne suivent pas toujours les bonnes méthodes de gestion de ces cultures, qui ne mettent pas suffisamment d’engrais, qui ne respectent pas toujours les itinéraires et qui de ce fait, ont un niveau de production faible bien que le potentiel des semences soit élevé. Je pense qu’on se comprend sur ca. C’est pour cela qu’il faut appuyer et former les producteurs.
C’est cette différence de niveaux qui crée la différence de compétitivité entre nous et l’international. L’autre niveau, c’est la transformation. Les usines ici ont des capacités faibles, ont des niveaux technologiques faibles. Elles sont en train de se remettre à niveau, mais en Asie, ils ont des économies d’échelles. Ils ont des usines plus performantes. C’est le deuxième niveau où ils ont avantage, où il y a compétitivité. Puis globalement, les intrants agricoles que nous utilisons pour produire sont beaucoup moins chers en Asie qu’ici. Si vous prenez l’intrant principal, l’engrais pour les cultures, l’engrais coûte de 3 à 5 fois moins cher en Asie qu’en Afrique et en Cote d’Ivoire. Donc voici les facteurs clefs de la compétitivité sur ces produits. Ce sont des facteurs que nous devons travailler.
Pour conclure l’entrevue, quelle est votre vision sur l’avenir du CNRA à court, moyen et à long terme?
L’avenir du CNRA pour soutenir davantage le développement du secteur agricole national se situe sur deux ou trois points principaux. Nous allons accélérer le transfert des matières végétales performantes vers les producteurs et nous sommes déjà en train de mettre en place. C’est un secteur de dispositifs de production de grande masse. Donc, nous voulons donner des semences de qualité pour les producteurs. Dans les deux prochaines années, nous allons diffuser chaque année pour 50 000 hectares de cacao, de semences de bonne qualité aux producteurs. Nous produisons déjà pour le palmier pour chaque année 70 000 hectares et nous allons probablement étendre cela à 100 000 hectares pour les prochaines années. Sur les productions comme l’Ivéa, nous mettons en place dans toutes les régions productrices, les jardins en bois de greffe qui permettent de créer des plantations avec du matériel de qualité. Il en est de même pour les autres cultures comme le coton, le café, et autres. Pour les cultures vivrières également, en ce qui concerne la production de manioc, nous avons créé beaucoup de villages avec des structures qui vont permettre dans les années à venir de distribuer du matériel important. Cela va aller en s’intensifiant.
Notre centre va devenir également une plateforme de diffusion des connaissances en utilisant les nouvelles technologies de communication. Nous allons diffuser des formations sous forme audio et vidéo, vers les radios de proximité, vers les télévisions, vers les coopératives pour informer les producteurs à l’utilisation de nouvelles technologies. Nous comptons même utiliser les téléphones cellulaires pour envoyer des messages techniques aux producteurs individuels pour permettre d’utiliser l’information simultanément et permettre d’optimiser la production. Le CNRA a également créé des banques de données qui contiennent des informations stratégiques. Ces informations vont être mises à la disposition des décideurs politiques ou encore au niveau des filières de production pour que chacun à son niveau, puisse prendre les décisions importantes se basant sur des informations, sur des données objectives tirées du terrain. Notre centre va également appuyer la formation des techniciens agricoles, des responsables agricoles.
Nous avons obtenu du financement de la Banque Mondiale, qui va nous permettre de créer un centre formation ici. Ce centre va être utilisé pour améliorer le niveau des formateurs dans les industries, dans les coopératives, dans le service de vulgarisation. À l’avenir, nous comptons appuyer beaucoup plus fortement le développement et en même temps, continuer la recherche en embrassant les problématiques nouvelles de changements climatiques, les biotechnologies, la durabilité de l’agriculture, la qualité de la production agricole nationale, la compétitivité des produits. Voilà ce que nous voulons faire pour l’avenir.
De façon globale, comment qualifieriez-vous l’image de la Cote d’Ivoire?
Je pense que ce pays a traversé une période difficile de pratiquement 10 ans, mais comme vous pouvez le constater avec les niveaux de production, les niveaux d’activité économique que nous avons, que ce pays a des ressorts importants au niveau économique. Je pense que nous sommes au début d’une ère de croissance économique, spécialement dans le secteur agricole. Nous avons tous les éléments pour amorcer une telle croissance. Nous avons une recherche agricole dynamique. Nous avons des ressources humaines en termes de compétences au niveau agricole. Nous avons également des conditions naturelles qui sont très favorables au développement du secteur agricole. Donc je pense que la Cote d’Ivoire, demain plus qu’hier, sera une puissance agro-industrielle dans la sous-région, dans la région de l’Afrique de l’Ouest. J’en suis convaincu.