Jean-Louis Menann-Kouame : « La BICICI est la Banque de l’Innovation »
Jean-Louis Menann-Kouame parle de l’évolution du secteur bancaire ivoirien au cours des deux dernières années, et explique quelle est sa stratégie et sa vision pour la BICICI (Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie de la Côte d’Ivoire), une filiale du Groupe BNP Paribas.
Interview avec Jean-Louis Menann-Kouame, Ex-Directeur Général de la BICICI (Groupe BNP Paribas)
Quelle évolution globale a connu, selon vous, le secteur bancaire ivoirien ces deux dernières années?
Le secteur bancaire a d’abord été marqué par l’arrivée de nouveaux acteurs. Il existe actuellement 27 banques et 2 établissements financiers spécialisés dans le crédit-bail, appelé aussi leasing. Nous sommes donc plus nombreux que nous l’étions il y a deux ans. Le secteur se caractérise toujours par une forte propension des banques à soutenir l’économie ivoirienne. J’en veux pour preuve l’évolution des encours de crédits à l’économie et une croissance de 20 % par an sur les deux dernières années. Le secteur bancaire se caractérise également par des évolutions réglementaires assez structurantes. La Banque Centrale est en train d’implémenter les accords de Bâle II et III dans notre espace monétaire. Cela va se traduire, dès 2018, par de nouvelles obligations qui ne seront pas sans conséquence sur le fonctionnement du secteur. Enfin, on ne peut pas parler du secteur bancaire sans parler de l’économie elle-même, toujours très orientée et qui se caractérise par de nombreux entrants, de nouveaux acteurs industriels et commerciaux sur le marché. Les grands groupes ayant décidé de s’implanter en Côte d’Ivoire en sont la preuve. Tout cela est favorable à l’activité bancaire. Ces grandes entreprises se rendent compte qu’elles ont affaire à un secteur bancaire bien organisé, à des banques solides et ayant une forte volonté d’accompagner l’économie réelle.
Comment votre banque a-t-elle évolué dans ce contexte?
La Côte d’Ivoire est tournée vers l’extérieur, tant au niveau des importations que des exportations, et avoir une banque comme la nôtre, qui accompagne en temps réel les acteurs opérant dans le commerce international, représente un atout pour le pays comme pour nos clients.
Notre appartenance au groupe BNP Paribas et notre très bonne connaissance de l’économie et du marché ivoiriens nous confèrent le statut d’une banque sérieuse, d’une banque de référence en qui les clients ont confiance. Ce dernier aspect est de loin le plus important pour nous : inspirer confiance à notre marché par notre éthique, par la qualité de nos prestations et de nos produits, et par le sérieux de notre action. Nous sommes aujourd’hui sur un marché très concurrentiel et souhaitons nous démarquer autant que possible en nous appuyant d’une part sur les qualités et les valeurs que je viens d’évoquer, et en essayant d’autre part de mieux cibler les besoins des clients. La société ivoirienne est en train de changer progressivement avec notamment l’émergence d’une classe moyenne, en capacité de consommer et d’investir par exemple dans une maison. Il nous revient de concevoir un produit bien pensé qui réponde parfaitement aux besoins changeants de ces populations. Nous travaillons dans cet objectif en espérant avoir des résultats sur la durée.
Vous travaillez sur trois segments : les particuliers, les professionnels et les entreprises. Quelles sont vos priorités et quelle est votre stratégie générale?
Nous venons de faire valider par notre conseil d’administration, avec le soutien de notre actionnaire majoritaire BNP Paribas, une stratégie à horizon 2020. L’idée est de pouvoir travailler sur deux sujets principaux. Nous voulons travailler premièrement sur l’innovation. Comme je le disais, nos clients ont des besoins qui se développent, des besoins de plus en plus pressants. Notre rôle est de trouver le bon produit pour satisfaire cette clientèle de plus en plus exigeante. Notre exigence d’innovation nous pousse à développer des produits différenciés et nous travaillons notamment à utiliser toutes les solutions proposées par la digitalisation, afin d’être une banque moderne, en phase avec son époque, et capable de converser plus facilement avec ses clients et prospects. Deuxièmement, nous souhaitons mettre l’accent sur la satisfaction de nos clients, ce qui constitue un souhait naturel pour une entreprise de service et devient, pour nous, une orientation stratégique forte. Il s’agit de travailler notamment sur l’accueil des clients, la qualité et la rapidité des réponses à leurs réclamations. En travaillant de manière poussée à une satisfaction élevée des clients – grâce à des indicateurs de suivi et une capacité d’écoute du client mieux développée, nous pensons pouvoir faire de la BICICI leur banque de préférence. Ainsi, l’effet conjugué de ces deux facteurs d’innovation et de satisfaction client devrait nous permettre de nous positionner de nouveau dans le trio de tête des banques ivoiriennes et de jouer un rôle accru dans l’économie du pays. C’est le souhait que nous avons présenté dans notre orientation stratégique BICICI 2020.
Les entreprises ont aujourd’hui des difficultés à accéder au financement bancaire. Comment améliorer et faciliter l’accès au crédit bancaire des entreprises de manière générale?
J’aborderai premièrement les grandes entreprises et évoquerai ensuite plus longuement les PME. Les grandes entreprises cotées en bourse, les filiales de multinationales, n’ont généralement aucun problème d’accès aux financements. Toutes sont bancarisées et toutes arrivent à lever les fonds nécessaires à leur développement. Pour les PME, la situation est différente. Une analyse récente a montré que, sur trois PME, deux n’ont jamais demandé de prêt à une banque, ce qui est énorme. Elles s’autocensurent en partant du principe qu’elles auront du mal à obtenir un financement. Cet a priori est évidemment faux. Mais cela indique une défaillance au niveau de la communication du secteur bancaire à l’égard de ces PME. Pour y remédier, une initiative a été lancée en Côte d’Ivoire au mois de novembre dernier. Elle s’intitule « la finance s’engage » et a pour vocation de permettre un meilleur accompagnement des PME par le secteur financier dans son ensemble. Des banques commerciales, la Banque Centrale, et des banques de développement, comme la Banque africaine de développement, se sont ainsi engagées dans ce sens. La BICICI a pris cinq engagements. Le premier consiste à faire croître de 11 % le crédit aux PME entre 2016 et 2017. Nous avons également souhaité mieux appréhender l’écosystème de nos grands clients donneurs d’ordre, parmi lesquels figurent des multinationales, afin de pouvoir mieux identifier les PME travaillant régulièrement avec eux et améliorer l’accompagnement de ces dernières. Un autre objectif consiste à mieux encadrer les PME prêtant à l’État ivoirien, en les suivant dans le cadre d’une convention qui a été signée entre le Trésor Public et l’Association Professionnelle des Banques : la « convention pour le financement de la commande publique ». L’État prend des engagements de transparence, de respect des délais de paiement, et dans ce cadre plus sécurisé, nous sommes à notre tour plus enclins à mieux accompagner les PME fournisseurs de l’État ivoirien. Le quatrième engagement que nous avons pris consiste à travailler sur les garanties exigées aux PME. Nous verrons, au cas par cas, comment alléger ces garanties souvent jugées rédhibitoires par les clients PME. Enfin, le cinquième engagement porte sur le renforcement des capacités des PME. Nous allons investir dans l’organisation de séminaires de formation pour les PME. Le premier aura lieu en décembre et s’intitule « PME académie ». Il vise à renforcer les capacités des PME clientes ou prospects en leur indiquant comment rendre un projet bancable, comment préparer un business plan, comment inspirer confiance à son banquier, etc. Ces séminaires ont vocation à être réalisés une à deux fois par an à nos frais. Au terme de cette initiative, nous pensons que la BICICI en particulier et les banques en général devraient parvenir à améliorer l’accompagnement des PME. Ces engagements pris en novembre 2016 seront évalués fin 2017, ce qui nous permettra de juger dans quelle mesure nous avons respecté nos objectifs.
Comment soutenez-vous les entreprises ivoiriennes exportatrices et importatrices de manière spécifique et innovante?
La BICICI bénéficie d’un trade center, qui est un concept de BNP Paribas. Il en existe près de cent dans le monde entier, ce qui nous permet d’être en connexion directe avec nos collègues de Singapour, de Paris, de Bahreïn, de Casablanca, en temps réel. Ces trade centers permettent une fluidité dans le traitement des opérations d’import-export de nos clients. Que ce soit dans l’ouverture de crédits documentaires ou dans la délivrance de garanties internationales, pour ne citer que ces deux opérations, nous arrivons à bien accompagner nos clients dans le secteur du trading. Nous bénéficions aussi d’une salle des marchés régionale, basée à Dakar mais qui couvre l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne où BNP Paribas est implanté. Celle-ci nous permet de rendre disponibles des devises – dollars américains, livres sterling, yen, etc. – aux clients qui en ont besoin dans le cadre de leur activité de trading. C’est ainsi que nous pensons pouvoir jouer un rôle important et apporter, avec notre offre de services, une vraie valeur ajoutée à nos nombreux clients qui commercent avec l’étranger. La Côte d’Ivoire est tournée vers l’extérieur, tant au niveau des importations que des exportations, et avoir une banque comme la nôtre, qui accompagne en temps réel les acteurs opérant dans le commerce international, représente un atout pour le pays comme pour nos clients.
Dans quels secteurs souhaitez-vous vous développer particulièrement?
Les secteurs dans lesquels nous souhaitons être très présents sont ceux qui dominent l’économie ivoirienne dans son ensemble. Il s’agit principalement de l’agribusiness, de l’énergie et du BTP. Nous avons travaillé, au cours des dernières semaines, sur l’identification d’une politique de crédit spécifique pour les principaux secteurs d’activité dans lesquels nous souhaitons être encore plus performants. Dans l’agribusiness, notre performance est historique. Nous sommes également présents dans l’industrie et l’énergie. Mais nous souhaitons encore améliorer notre performance dans ces secteurs si importants pour l’économie ivoirienne et animés par des acteurs de très grande qualité. Le fait que nous ayons travaillé sur ces critères d’octroi et cette politique de crédit spécifique devrait nous permettre d’être un peu plus rapide dans nos processus de décision et de pouvoir nous engager sur des périodes un peu plus longues. La plupart des secteurs que j’évoque ici ont une forte intensité capitalistique et nécessitent des délais de remboursement longs de dix à douze ans. Nous souhaitons étendre notre offre de financement pour qu’elle atteigne cette maturité longue. Selon nous, la BICICI devrait, dans les prochaines années, avoir fait un bon en avant et occuper une place encore plus importante dans ces secteurs d’activité structurants pour l’économie ivoirienne et dont nous connaissons les acteurs. Telle est notre volonté.
Vous êtes sur le point de lancer des campagnes spécifiques pour des produits à destination à la fois du grand public et des entreprises – on parle par exemple de M-payment qui permet aux entreprises de payer ses employés par téléphone, ou de solutions digitales pour le plus grand nombre comme le sms-banking ou les applications mobiles. Quels sont vos projets précis dans ces domaines?
Sans entrer dans le détail de chacun des produits, il faut retenir que ces projets sont une première traduction concrète de notre souhait de devenir la banque de l’innovation. BNP Paribas investit beaucoup de moyens dans la conception de nouveaux produits digitaux et de plateformes qui facilitent les liens avec nos clients. Nous allons d’ailleurs bientôt communiquer sur l’ensemble de ces produits et services. Le marché en est demandeur, comme le montrent l’activisme en matière de techniques digitales de nos clients issus des catégories socio-professionnelles privilégiées, leur volonté de simplification et leur souhait de gagner du temps dans leur relation avec leur banque – ils sont par exemple devenus réticents à se déplacer pour faire la queue en agence avant de se faire servir. Notre rôle est de proposer à cette clientèle des produits robustes et fiables qui répondent à leurs besoins. Cette première action concrète de notre plan stratégique tourné vers l’innovation devrait être plébiscitée par nos clients, car nous nous employons à leur servir des produits de qualité qui leur permettront de gérer leurs relations bancaires à distance quand cela sera nécessaire.
Comment conciliez-vous ces innovations digitales avec votre politique concernant votre réseau d’agences sur le territoire? Continuez-vous à développer votre réseau?
La Côte d’Ivoire n’a pas la maturité de la France ou de l’Italie. Nous ne pouvons pas encore réduire nos actifs immobiliers d’exploitation, notre réseau d’agences bancaires, pour les remplacer entièrement par du digital. Nous n’en sommes pas encore là. C’est la raison pour laquelle nous continuons l’expansion de notre réseau d’agences dès 2017. Nous allons en construire quelques-unes dans les prochaines années, comme cela est prévu dans notre plan stratégique 2020. Mais, alors qu’il y a quelques temps, nous devions beaucoup investir dans notre réseau d’agences, nous estimons avoir aujourd’hui atteint un niveau satisfaisant en terme de maillage sur le territoire, même si celui-ci doit tout de même être renforcé à certains endroits. Nous avons fait le choix clair d’orienter désormais les investissements vers les solutions digitales, pour accompagner le réseau existant et surtout répondre à une attente forte de la clientèle que nous ciblons et qui en est demandeuse.
Quelles sont les priorités de votre banque pour les deux à trois prochaines années, à la lumière du développement de l’économie ivoirienne?
La BICICI et le secteur bancaire dans son ensemble ne pourront se développer qu’en s’appuyant sur des valeurs intrinsèques, même si l’économie et la dynamique économique représentent notre terrain d’expression. Il s’agit tout d’abord d’un respect de l’éthique et de la déontologie. Tant que nous serons attachés à cette valeur, nous pourrons construire sur la durée. La Banque Centrale, qui joue le rôle de régulateur, devrait être bientôt encore plus regardante sur ces questions au sein de l’espace économique de l’UEMOA, conformément aux exigences de Bâle II et III qui sont en train d’arriver chez nous. La deuxième valeur relève de la qualité de gestion de notre risque de crédits. Une banque qui a une politique d’octroi de crédits désordonnée et souhaite faire grossir son bilan à tout prix en négligeant la qualité des contreparties à qui elle prête de l’argent, se met en danger et fragilise l’ensemble du secteur. Nous devons donc rester particulièrement fidèles à cette valeur essentielle. La qualité de nos hommes représente un autre élément important à ne pas oublier. Nous devons investir dans la formation de nos agents et le renforcement des capacités des cadres et employés de banque. Notre activité est particulièrement exposée aux risques de fraude interne et externe, ce qui met également en péril la banque et le secteur en général. En investissant régulièrement sur le renforcement des capacités et la formation de nos équipes, nous pouvons prémunir le secteur de ce danger et participer à le rendre plus robuste. Voilà donc les dimensions sur lesquelles nous devons mettre l’accent pour que le secteur bancaire reste fort et au service de l’économie ivoirienne.
Le taux de croissance de la Côte d’Ivoire est depuis 2011 extrêmement élevé, contrairement au reste de l’Afrique et du monde où les taux sont très bas. Comment l’économie ivoirienne va-t-elle évoluer, selon vous, dans ce contexte au cours des prochaines années?
Selon moi, la Côte d’Ivoire est en train d’écrire de belles pages de son histoire économique. D’ici 2020, la croissance devrait rester soutenue. L’échéance électorale de 2020 ne doit effrayer personne, même si la Côte d’Ivoire a connu un passé douloureux. Nous souhaitons faire en sorte que l’afflux d’investisseurs que nous avons connu cette décennie ne s’estompe pas. Les ivoiriens ont donc tout intérêt à passer le cap de cette échéance politique sereinement, afin de confirmer la présence des investisseurs qui ont fait le choix de la Côte d’Ivoire, d’en attirer beaucoup d’autres, de permettre à cette classe moyenne qui a émergé au cours des dix dernières années de se renforcer et de favoriser la création de PME locales. L’effet d’entraînement serait si favorable à l’ensemble de l’économie – entreprises, État, ménages – que nous avons donc tout intérêt à aborder cette échéance sérieusement.